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La Chimère embrunoise, au mois de mars 1731

         La Chimère

L’abîme noir et détesté1

Où le crime avec le supplice

Subsiste à toute éternité,

D’où nous lance un souffle empesté

L’esprit d’erreur et d’artifice,

De fureur et d’impiété,

Que Saül, de Dieu rejeté,

Consulta par la pythonisse.

Le noir Tartare ouvre son sein

Et Satan répond à Tencin

Du sortilège et de ses rites,

Des conjurations prescrites.

Par le prélat, rien n’est manqué.

Il prend ses trois chers acolytes,

Le rimeur2 , moine défroqué,

En qui le démon d’imposture

Contre Rousseau fut inculpé

Par le démon de la luxure

Dans tous les membres disloqué.

Puis le vieux Normand3 parasite,

D’athéisme maître infernal,

Délogé du Palais-Royal

Depuis que la vertu l’habite.

Enfin le lascif empirique4

Qui se distille et s’alambique

En faveur du corps délicat

De la nonne5 , sœur du prélat

Pour quatre amis de cette classe

Est-il rien que Satan ne fasse ?

Tencin, dit-il, d’un œil hagard,

Prête-nous tes suppôts célèbres,

Lors Fontenelle, Astruc, Houdard

Tombent dans le lieu des ténèbres

Le charme est fait, déjà je vois

Un seul monstre formé des trois,

Et cette chimère nouvelle

Sur l’antique chimère excelle

Elle en lion, chèvres, serpent,

Rugissant, bondissant, rampant,

Exhalant ou couvant sa rage.

Où commencera le ravage ?

Palais6 du plus saint de nos Rois,

Tu gardes le dépôt des lois.

Cinquante hommes en sentinelle7

Sont là, clairvoyants, pleins de zèle,

Main basse, mais basse sur eux ;

Coupons leurs mains, crevons leurs yeux.

Le monstre sur la sainte armée

Vomit des torrents de fumée,

Remplit l’air d’un poison affreux

Et de ses replis tortueux

Les entoure, les embrasse.

Mais que peut l’astuce et l’audace

Contre ces hommes lumineux ?

Ils sont fidèles et courageux.

Du fond de ces saintes retraites

La justice et la foi, sa sœur,

Applaudissent à ces athlètes.

Gilbert8 décoche un trait vainqueur

Pareil à la céleste foudre.

Ce trait a mis le monstre en poudre ;

Il tombe aux abîmes sans fond.

Tencin gémit et désespère.

Ainsi la nouvelle chimère

A trouvé ses Bellerophons.

 

  • 1 La Motte. On l’accuse d’avoir fait l’histoire du concile d’Embrun, ce qui a donné lieu à la Chimère embrunoise (note de Castries sur $1865)
  • 2La Motte (M.)
  • 3Fontenelle (M.)
  • 4Astruc (M.)
  • 5Mme de Tencin (M.).
  • 6Palais de justice (M.).
  • 7Les avocats (M.).
  • 8Avocat général (M.).

Numéro
$4641


Année
1730 / 1731 mars




Références

Clairambault, F.Fr.12701, p.73-75 - Maurepas, F.Fr.12632, p.332-34 - F.Fr.10476, f°75r-76r - F.Fr.15144, p.359-64 -Stromates, I,33-35 -  Arsenal 2938, f°64r-65v - Arsenal 2962, p.401-404 - Arsenal 3133, p.177-79 - Arsenal 3128, f°90v-91r


Notes

On attribue le mandement de M. de Tencin, archevêque d’Embrun, contre la consultation des avocats aux Srs Fontenelle, La Motte et Astruc. Ce mandement a été supprimé par arrêt du Parlement du 29 janvier1731, sur les conclusions des gens du Roi, M. Gilbert, avocat général, portant la parole.(Stromates)