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Sur les dogmes de la foi molinienne qui n’obligent point d’aimer Dieu.

Sur les dogmes de la foi molinienne qui n’obligent point d’aimer Dieu.
De par notre Saint Père
Ce précepte est honni
Et passe pour chimère
Qu’on regarde en mépris,
Car toute la cabale
Qui veut qu’on aime Dieu
Par la bulle papale
N’a plus ni feu ni lieu.

Il faut que dans notre âme
Dieu ne soit point haï,
Mais de l’aimer ? Tredame,
Ce serait trop pour lui ;
Si tout bien peut se faire
Sans cet amour gênant
Pourquoi chercher à plaire
À l’Etre tout-puissant ?

Jésus a pris la peine
De verser tout son sang
Pour nous ôter la gêne
D’un amour si brûlant.
C’est la saine doctrine
De l’illustre Sirmond ;
Le fameux Cabrépine,
L’enseigne aussi, dit-on.

On prétend que la Grâce
Est un je ne sais quoi
Qui d’une extrême audace
Veut nous faire la loi,
Pour nous forcer sur terre
À perpétuité
À déclarer la guerre
À notre humanité.

Une grâce efficace,
O Ciel, le dogme affreux !
Que l’on dise, qu’on fasse,
Francolin pense mieux :
Certes son congruisme
De la Grâce est plus beau
Et son incongruisme
Achève le tableau.

Il faut que l’on soit libre
Où l’on ne pèche pas ;
C’est le seul équilibre
Qui décide le cas :
La Grâce plus pressante
Affaiblit les vertus,
Mais si le mal enchante
On ne péchera plus.

Une excessive joie
Me laisse en liberté.
Je m’abandonne en proie
À la cupidité.
Oui, ma concupiscence
Est un excellent don,
Je peux en assurance
Suivre ma passion.

Occasion prochaine
Subsiste dans ses droits.
Il faut choisir ses chaînes
Et respecter les lois.
On court à la rechute,
À la confession,
Et nouvelle culbute,
Autre absolution.

Avec la seule crainte
Du moindre petit mal,
On guérit tout atteinte
Au confessionnal.
Oui, certes, je t’adore,
O Constitution,
Le crime me dévore,
J’ai l’absolution.

Du rapt, de l’adultère,
Du meurtre, du larcin,
Des forfaits de Cythère
Jamais ne craignons rien
Si prudemment en bête
Et sans penser à Dieu
Nous n’avons dans la tête
Que le crime et son feu.

Lorsque Dieu seul commande
Un désobéissant
Sera de contrebande
En faisant le méchant.
mais si la conscience
A donné des avis,
Suivons en assurance
Ce qu’elle aura permis.

Fi des sottes pratiques
De ces esprits bourrus
Qui suivent les rubriques
Du bonhomme Jésus.
Quelles billevesées
Que ces joujoux d’enfants
Et ces fables usées
Des fous de l’ancien temps.

De fait, quelles chimères
Que les anciens canons ;
En vérité ces Pères
Étaient de francs oisons.
Je crois qu’ils étaient ivres
Avec leur charité
Et leurs fatras de livres
Sur l’orthodoxité.

Oui, ces visionnaires
Dit le Père Hardouin,
Ouvrages de faussaires,
Que sont-ils ? moins que rien.
Et ces petits génies
Au dire de Trévoux,
Farcis d’allégories
Parlaient comme des fous.

Qu’ils étaient admirables
De vouloir des raisons
Et d’être invariables
Dans leurs décisions !
L’Église est mieux régie
Par arrêt du Conseil.
Quelle théologie !
Vit-on rien de pareil ?

Tous ces atrabilaires
Ne la connaissaient pas,
Aussi ces antiquaires
Avaient-ils bien des rats :
Heureux jésuitisme,
Vive, vive vos lois,
Que l’ancien fanatisme
Par vous soit aux abois.

Le pharisianisme
De la nouvelle loi
Par le beau molinisme
Est bien d’un autre aloi.
O ciel ! que de science
Dans toutes ses leçons
Et qu’il donne d’aisance
À toutes passions.

Le pape est infaillible
Quand il dit, je veux, moi.
La raison est plausible,
Sa volonté fait loi,
Pierre fut l’imbécile,
Et Paul fut maladroit
Dès le premier concile
De lui rogner ce droit.

L’autorité du pape
Est plus belle aujourd’hui
Et dans Rome elle éclate
Bien mieux qu’en ces lieux-ci :
Il voulait que l’Église
Régla toutes nos lois,
Qu’humble et toujours soumise
Elle n’eut plus de voix.

L’Église gallicane
Avec ces entêtés
Était une profane avec ses libertés.
Lorsqu’il venait des bulles
Elle y mettait le nez,
Voyait les ridicules,
Les contrariétés.

Pierre était un novice,
Le pape est un profès.
Il détruisait le vice,
Rome fait des décrets ;
À toute âme rebelle
Lance punition
Et quiconque en appelle
Est en damnation.

De ma surintendance
Je t’écris Soanen
Pour t’imposer silence
Ou pour répondre amen.
Tencin par sa science
A fait voir tes abus.
Ça donc obéissance
Et ne raisonne plus.

Apprends, mon petit merle,
Sot oratorien,
Que parmi nous la perle
De tous les gens de bien
Est ou la femme ou l’homme
Qui reçoit avec feu
Tous les décrets de Rome
Comme la loi de Dieu.

Tu voudrais qu’un concile
Devînt universel
Pour dégorger la bile
De ton frivole appel.
Je le dis illusoire,
Ce t’en doit être assez.
À d’autres le grimoire
De tant de libertés.

Si jadis la couronne
S’armait de ce fleuron,
Tu me la donnes bonne,
On pensait en oison.
Je veux bien que tu saches
Le grand décret du temps
La barrette le cache
Paix, respect et comprends.

Vous n’aurez plus en France
De telle liberté ;
Ma grandeur s’en offense
Et la Société.
Songe donc à te taire,
Ou bien ma sainteté
T’enverra faire faire
Avec l’antiquité.

Numéro
$5366


Année
1727 (Castries)




Références

Mazarine Castries 3984, p.200-210