Aller au contenu principal

L'Apocalypse ou la Révélation

L'Apocalypse ou la Révélation

Ces jours passés, me promenant chez moi,

J’allais rêvant, je ne sais pas à quoi

Quand un dévot et zélé janséniste

De mes amis s’en vint à l’improviste

Me visiter ; il m’aborde et soudain

Fait avec moi quelques tours de jardin.

Eh bien, lui dis-je, ami, quelles nouvelles ?

Vraiment, dit-il, j’en sais et des plus belles.

Lors il me dit tout ce que dans Paris

On publiait de Monsieur de Pâris,

Sa sainteté, ses vertus non pareilles,

Ses guérisons et mille autres merveilles

Dont il me fit l’énumération.

Je l’écoutais avec attention

Et son discours qui me parût sincère,

Me plût si fort que, n’ayant rien à faire,

Je résolus de venir sur le lieu

Voir le tombeau de cet Homme de Dieu,

Pour rendre honneur à sa sainte relique.

Mon homme ayant fait son panégyrique,

Pour rafraîchir je le mène au buffet

Où je lui dis le vœu que j’avais fait.

Dieu soit loué, dit le Panégyriste,

Vous voilà donc à la fin Janséniste.

Je savais bien que vous y viendriez

Et qu’un beau jour vous vous convertiriez.

C’est notre Saint qui vous fait cette grâce.

Mais profitez d’un mouvement qui passe,

Le Ciel souvent nous retire ses dons

Pour nous punir quand nous les négligeons.

Disant ces mots il m’entraîne à la Ville

Où le Saint eut jadis son domicile

Et dont depuis le Tout-Puissant a fait

Le grand Théâtre où sa vertu paraît.

Chemin faisant mon zélé Janséniste

Que je suivais comme un lièvre à la piste

Pour m’affermir dans ma conversion

Ne me parlait que de dévotion,

De sainteté, de vertus, de miracles,

Disant qu’un Saint avait bien des obstacles

À surmonter, et surtout aujourd’hui,

Pour être Saint. Oui  dis-je, mais celui

Dont vous m’avez fait le panégyrique

Est au-dessus de toute la critique.

Il doit jouir du céleste bonheur

Et chacun doit lui rendre cet honneur.

S’il est constant qu’il ait fait les merveilles

Qu’on fait sonner partout à nos oreilles,

Et dont mes yeux vont être les témoins.

Quoi ! sans cela vous y croiriez donc moins ?

Dit mon dévot. C’est bien être incrédule

Que sur ce point avoir quelque scrupule,

Après tous ceux que notre Saint a faits

Il faudra donc qu’il en fasse un exprès,

Pour vous tout seul, même en votre présence

S’il veut trouver chez vous quelque croyance.

Souvent, lui dis-je, on attribue au Ciel

Le pur effet d’un pouvoir naturel.

Fort bien, voilà, reprit mon Janséniste,

Précisément parler en  Moliniste.

J’ai toujours cru que vous ne l’étiez point.

Eh bien, je veux vous convaincre en ce point,

Et pour cela, par grâce singulière,

Vous faire voir nos convulsionnaires.

Car c’est surtout chez elles à présent

Qu’on voit agir le bras du Tout-Puissant.

Depuis qu’Hérault par un ordre sévère

A fait du Saint fermer le cimetière,

Et vous direz s’il est effort humain

Magicien, saltimbanque ou devin

Qui puisse faire, avec ses tours infâmes,

Ce que l’on y voit faire à de simples femmes.

Vous en verrez marcher la tête en bas

Sans se blesser ; d’autres qui sur un bras

Les pieds en l’air font mille pirouettes ;

D’autres, sans voir, vous diront qui vous êtes,

Et pénétrant les plis les plus cachés

De votre cœur, vous diront vos péchés.

Vous en verrez d’autres qui, sans science,

Vous prêcheront avec plus d’éloquence

Et d’onction que ne fit onc Segau,

Ni tous les fils du beat Inigo ;

D’autres enfin, qui pendant leurs extases

Feraient leçon aux Pauls, aux Athanases,

Et qui font voir dans leurs moindre propos,

À nos Docteurs qu’ils ne sont que des sots.

Mais le plus fort, et qui va vous surprendre,

C’est que, mon cher, lorsqu’on les veut entendre

Dogmatiser, il faut auparavant

Les bâtonner des quatre heures durant,

San quoi, néant. D’autres moins scrupuleuses,

Se font tenir dans leurs ardeurs fougueuses

Par cinq ou six hommes, tout des plus forts,

Qui, deux à deux, leur montent sur le corps,

Sans pour cela que leurs flancs en pâtissent.

Vous en verrez d’autres qui se blottissent

Dans des linceuls, et s’y font balancer ;

D’autres se font lier, pendre, étrangler,

Mais tout de bon, et sans qu’on les soutienne,

Et tout cela sans qu’il leur en advienne

Le moindre mal. L’une, écoutez ceci,

Je ne vous fais point de contes ici,

L’une en santé prévoit sa maladie,

L’autre prédit qu’elle sera sans vie

Pendant trois jours et ressuscitera

Le quatrième au plus tard, et cela

Ne rate pas, selon la prophétie.

L’autre, semblable au prophète Isaïe,

Pour figurer la désolation

Qui doit bientôt choir sur la Nation

Se fait ôter ses habits, etc.

Et ne croie point qu’on la trouve immodeste

dans cet état, tant leur simplicité…

Je n’avais point jusqu’alors éclaté,

Bien que j’en eusse eu de grandes envies,

En entendant tant de folies

Mais quand il m’eut lâché ce dernier trait,

Il me fallut débonder tout à fait.

Mon sérieux, quoique je pusse faire

Ne put tenir contre tant de chimère.

Quoi ! vous riez, me dit mon Directeur ;

Assurément, repris-je, et d’un grand cœur,

Et puisqu’il faut qu’avec vous je m’explique,

Vous ne m’avez fait ce récit comique,

Comme je crois, que pour me divertir.

Qui, moi !, dit-il, je voudrais vous mentir

En profanant ainsi les choses saintes ?

Absit, mon cher ; je ne vous ai rien dit

Que tout Paris et tous les gens de bien

Ainsi que moi ne vous puise redire.

Oui, mais par qui, dis-je, m’en faire instruire ;

Car vous savez que Paris de tout temps

Eut dans son sein toutes sortes de gens.

Si l’on y voit triompher la science,

C’est le séjour aussi de l’ignorance,

Et l’on y voit, contre un homme d’esprit

Mille badauds qui, dès qu’on leur a dit,

Telle chose est (et souvent pour s’en rire)

Tout aussitôt vont partout la redire,

Et qui, prenant un ton affirmatif…

Ouais, reprit-il, vous êtes bien rétif

Aujourd’hui ; mais que pourrez-vous répondre

Si je vous cite ici pour vous confondre

Des gens d’esprit, de graves magistrats

Qui, comme nous, mon cher, sont dans le cas ?

Et qui, laissant la plupart leurs affaires

Vont chez nos Sœurs passer des nuits entières

Pour admirer les merveilles que Dieu

Par notre Saint opère dans ce lieu ?

Traiterez-vous encor cela de fable ?

Oui-da, lui dis-je, et de fable incroyable.

Nos magistrats, mon cher, sont trop prudents

Et trop sensés pour donner là-dedans.

Ils savent trop combien leur ministère

Est au public utile et nécessaire

Pour s’en aller, courant comme des fous,

Passer les nuits chez vos Sœurs et chez vous

Cela n’est bon que pour une bigote.

Comment, dit-il, en jetant sa calotte,

Tous nos Docteurs, nos B…, nos B…iers,

Nos D…, nos P…, nos B…yers,

Selon vous, donc, sont des têtes falotes,

Et vont de pair avec ces idiotes ?

Ces Messieurs-là ne vous sont pas connus,

On le voit bien ; car ils se sont rendus,

Quoique d’abord ils prissent pour prestige

Ce qu’on disait. Vous vous trompez, repris-je

À mon dévot, leur esprit, leur vertu,

Et leur mérite à tel point m’est connu

Que je sais peu de gens qui, dans le monde,

Méritent plus une estime profonde ;

Mais quels que soient leurs mérites divers,

Les gens d’esprit sont sujets aux travers ;

D’ailleurs, je sais, quand on débite un conte

Que fort souvent on le met sur le compte

De gens connus par leur sincérité

Pour lui donner plus de réalité.

Ainsi mon cher, vos Convulsionnaires,

Quoi qu’on en dise, ont bien l’air de chimères,

Et sur ce point, loin d’être convaincu,

Je n’y croirais pas, même en ayant tout vu.

Ô Ciel !, dit-il, en devenant tout blême,

Peut-on entendre un semblable blasphème

Sans en frémir ! Que je vous plains, hélas !

Sur ce pied-là vous ne croiriez donc pas

Que le Prophète Elie est dans le monde ?

Qu’il va prêchant et fait partout sa ronde,

Qu’on l’a déjà vu dans le Gévaudan

Sous l’habit il d’un chétif paysan,

Où même il fait des cures incurables.

Le croiriez-vous ? Allez avec vos Fables,

Repris-je. Il n’est pourtant rien de plus vrai,

Dit mon dévot, et sur cela je sais

De nos Messieurs qui l’ont si fort en tête

Qu’ils sont allés au-devant du Prophète

Jusqu’à Montmartre où, l’attendant toujours,

Ils sont restés au cabaret trois jours

À chopiner… De pareilles sornettes

Lui dis-je, ami, sentent fort les guinguettes,

Et partent moins d’un esprit tout divin

Que d’un cerveau vide échauffé du vin.

Ce dernier mot choqua si fort mon homme

Que s’il eût eu tous les foudres de Rome,

Il les aurait contre moi tous lancés.

Mais les transports étant un peu passés,

Il fila doux et tirant son bréviaire,

Se contenta de dire une prière,

Conjurant Dieu de me donner la foi.

De tout cela je riais à part moi,

Et ne pouvais m’imaginer qu’un homme,

Sensé d’ailleurs, et que même on renomme

Pour son savoir, crût à des visions

Qui mènent droit aux Petites-Maisons.

En discourant ainsi, nous arrivâmes

En cette ville où nous nous séparâmes

Bien qu’il voulût m’emmener avec lui.

Je ne saurais, lui dis-je, d’aujourd’hui.

Mais pour demain je vous rendrai visite.

Disant ces mots, je l’embrasse, le quitte,

Et je me rends au logis où, soudain,

Comme j’étais fatigué du chemin

Je soupai vite, et me couchai de même,

Soupirant fort, et d’une ardeur extrême

Que le jour vînt pour m’acquitter des vœux

Que j’avais fait à notre Bienheureux.

De ce désir, le cœur et l’âme pleine,

Je m’endormis ; mais le sommeil à peine

Commençait-il à me fermer les yeux,

Que tout  à coup un éclat radieux

Accompagné de voix, de symphonie

Qui composaient une douce harmonie

Me vint frapper et ravir tous les sens

Et m’enflammaient par leurs tendres accents.

L’esprit rempli de toutes ces merveilles

Qui me charmaient les yeux et les oreilles,

Je les levai pour savoir d’où partaient

Ces vifs éclats, ces sons qui m’enchantaient.

Mais quel objet vint s’offrir à ma vue !

Du haut du Ciel, sur un trône de nue,

Plus éclairant que l’or et que l’azur,

Et le soleil dans son jour le plus pur,

Je vis paraître un Vieillard vénérable

Accompagné d’une troupe innombrable

De Bienheureux qui composaient sa cour.

Cent mille Esprits voltigeaient alentour,

Prêts à porter ses ordres redoutables.

Je contemplais ces objets adorables

Lorsqu’au milieu de ces heureux Esprits,

Je reconnus le saint Diacre Pâris.

Il n’avait plus cet habit méprisable

Qui le rendit jadis méconnaissable.

Mais Dieu pour prix de son humilité

Le revêtais de l’immortalité.

Sur notre Saint j’avais toujours la vue,

Et l’admirais, quand du sein de la nue

J’ouïs ces mots : Tu me parais surpris,

De voir ici mon serviteur Pâris ;

Voilà, mon fils, voilà comme j’honore

Les Saints qu’Ignace et sa Cabale abhorre.

Plus on travaille à les humilier,

Plus je me plais à les glorifier.

Sur celui-ci leur fureur acharnée

S’est de tout temps contre lui déchaînée ;

Mais, quoique Rome ici-bas l’ait damné,

Il n’en est pas au Ciel moins couronné.

C’est la vertu, mon fils, et non pas Rome

Qui fait chez moi la sainteté d’un homme.

Aussi souvent m’en a-t-elle envoyés

Qu’aux noirs Enfers mon bras a foudroyés.

Sache qu’enfin l’ordre de ma Justice

Dans les Décrets ne suit point le caprice

D’un Cardinal, ni d’un pape qui croit

Qu’il peut damner ou m’envoyer tout droit

Ceux qu’il lui plaît d’inscrire en ses registres.

Non, non, il faut pour cela d’autres titres

C’est la douceur, l’esprit d’humilité,

La pénitence avec la charité,

Et c’est par là que Pâris m’a su plaire.

Tant de vertus méritent un salaire ;

Il l’a reçu de ma main, et je crois

Que sur ce point il n’est Papes, ni Rois,

Ni Cardinaux, Prophète, Apôtre même,

Qui s’ose en prendre à mon Ordre suprême.

Hé ! qui voudrait désormais me servir

En ce bas lieu si j’allais m’asservir

À ne donner l’héritage céleste

Qu’à ceux qu’y place une Secte funeste

Qui jusqu’au Ciel  prétendrait dominer,

Et que mon bras est  prêt d’exterminer ?

Ces malheureux voudraient dans leur malice

De leurs excès rendre le Ciel complice,

Et m’obliger moi-même à condamner

Ceux qu’on leur voit bannir, emprisonner.

Faites le bien, Mortels, et laissez dire ;

C’est moi qui tiens la clef de mon Empire ;

Je l’ai promis à ceux qui font le bien ;

Faites-le tous et n’appréhendez rien ;

Nul ne vous peut ôter la récompense

Qui vous attend ; c’est moi qui la dispense.

Laissez brûler à Rome vos portraits

Et soyez-moi fidèle à jamais.

Et toi, mon fils, qui, dans ces temps d’orage

Vois, en dépit de la haine et la rage

Des ennemis de ma Gloire et mon Nom,

Comme on reçoit dans la sainte Sion

Ceux qu’ici-bas Rome anathémise,

Apprends par là qu’ils sont dans mon Église ;

Que Vintimille et Rome ont beau crier :

Ils sont damnés, n’allez pas les prier.

Ma Sainteté, ma Justice suprême,

En dépit d’eux rend nul leur anathème.

Pâris en est un exemple éclatant ;

Vis comme lui, je t’en réserve autant.

Mais ne va pas penser que pour me plaire,

Mon fils, il faille être visionnaire,

Ni, sous couleur que je suis Tout-Puissant,

Me faire auteur d’un spectacle indécent

Que dans ces lieux un vain peuple idolâtre.

Non, je ne suis point un Dieu de Théâtre.

Le Ciel, la Terre et tout ce qu’on  y voit

Sont le spectacle où ma grandeur paroît ;

Par moi tout vit, tout agit, tout respire ;

J’ai sur vous tous un souverain empire ;

C’est moi qui fais vos bonnes actions,

Mais je n’ai point part à vos visions.

Ainsi, mon fils, laissant là ces chimères,

Ces contes bleus, ces Convulsionnaires,

Dont on amuse un Peuple extravagant,

Contente-toi de vivre saintement.

Mets tous tes soins à m’aimer, à me plaire,

Et je ferai moi-même ton salaire,

Malgré l’Enfer, Ignace et ses suppôts…

Je me voulus prosterner à ces mots,

Pour rendre grâce à mon Souverain Maître,

Lorsque je vis tout à coup disparaître

La vision comme un songe qui fuit.

Déjà le jour sorti de sein de l’onde

De ses rayons éclairait tout le monde.

je me réveille et sautant de mon lit,

À Saint-Médard je m’en fus tout contrit,

Y louer Dieu de m’avoir faire connaître

Ses volontés en daignant m’apparaître ;

Là je rendis au Saint que j’avais vu

Le juste honneur qu’on doit à sa vertu,

Et promettant de marcher sur sa trace,

Je priai Dieu de m’en faire la grâce ;

Lors, sans rien voir de plus, je retournai

À ma campagne, où je me confinai.

                            FIN

Numéro
$6116


Année
1733




Références

Mercure ecclésiatique, février 1733, p.33-48


Notes

Un texte à contre-courant des positions traditionnelles. D'abord hostile aux manifestations de Saint-Médard et aux convulsions, un songe lui fait apparaître un Diacre Pâris paré de toutes les vertus; Dieu lui-même lui fait un sermon plein de modération. Un jansénsiste sincère, loin de tous les excès de la secte? Le Mercure ecclésiastique qui le reproduit s'avoue déconcerté par un tel changement de cap.