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Sans titre

Vous que les Tellier, les gobiens [?]
Ont séduit par mainte imposture,
Sur les apôtres des Indiens
Écoutez la vérité pure.
Je veux vous peindre en cet écrit
Les ministres de l’antéchrist.

À la Chine ils sont mandarins,
Bonzes même en quelque province,
Usuriers publics, tabarins,
Archiconfituriers du prince,
Admirateurs de ses vertus
Et ses courtisans assidus.

Ils n’y parlent point de la croix,
Ils ont honte de ce mystère.
Est-ce ainsi que Paul autrefois
S’acquittait de son ministère ?
Faisait-il après son sermon
Les confitures de Néron ?

S’ils vont dans ces mondes nouveaux
C’est moins pour étendre l’Église
Que pour y charger leurs vaisseaux
De mainte rare marchandise.
Nos commerçants les plus fameux
Ne sont que des sots auprès d’eux.

C’est un spectacle curieux
De voir un amiral jésuite.
Nos marins ont vu de leurs yeux
Flotte voguer sous leur conduite,
Et rien selon eux n’est égal
Aux talents de cet amiral.

Quel charme pour eux de le voir
Dans une tempête effroyable
Par tout le vaisseau se mouvoir,
Blasphémer, jurer comme un diable.
Il semblait un vrai Lucifer
Échappé du gouffre d’enfer.

Leur avarice, à ce qu’on dit,
Engloutira toute la terre,
Et bientôt, avec l’antéchrist,
Ils viendront nous faire la guerre
Et nous suivrons sous leurs drapeaux
Gog, Magog et tous leurs vassaux.

On commence à voir les desseins
De cette horrible république.
On apprend qu’ils sont souverains
En certain coin de l’Amérique
Et qu’ils ont même en cet État
Des forts bien garnis de soldats.

Ils ont de quoi faire trembler
Le Portugal s’il les querelle ;
Les Espagnols n’osent troubler
Leur royaume à leur roi rebelle
Car mainte fois les saints canons
Ont foudroyé leurs compagnons.

Aux sauvages jadis épars
Un Père apprend la discipline,
Non de l’Église, mais de Mars,
À manier la javeline,
Sabre, baïonnette, esponton,
Pistolet, fusil, mousqueton.

À disposer par escadron
Leur troupe de cavalerie,
À bien former en bataillons
Les régiments d’infanterie
Et dans ces postes différents
À savoir bien garder leurs rangs.

Puis ce jésuitique héros
La pique en main, le casque en tête,
Et la cuirasse sur le dos
Vient par une harangue honnête
Apprendre à ces nouveaux soldats
À savoir braver le trépas.

Ce peuple esclave et malheureux
Ne travaille que pour ces Pères :
Ouvrages, fruits, tout est pour eux.
Seulement à ces mercenaires
Les Pères charitablement
Donnent pour vivre maigrement.

Quant à l’église de ce lieu
Dieu sait comme elle est catholique.
Mystères, foi, culte de Dieu
Tout s’y réduit au point unique
De respecter comme des dieux
Ces petits rois venus des cieux.

Numéro
$5363


Année
1726 (Castries)




Références

Mazarine Castries 3984, p.181-85