Épître de l'Église de Genève à la Sorbonne
Epitre de Messieurs de Genève à la Sorbonne
Illustres défenseurs du plus pur jansénisme,
Qui commencez enfin d’abjurer le papisme,
Et dont la foi, bravant l’orgueilleux Vatican,
Contemple d’un même œil la Bulle et l’Alcoran,
Souffrez que secondant un si noble courage,
Genève à votre voix unisse son suffrage.
Vos pères, transportés d’une vaine fureur,
Ne trouvèrent chez nous que mensonge et qu’erreur,
Quand des prélats ligués méprisant la censure,
Nous voulûmes régler la foi par l’Écriture ;
Vous traitiez nos savants de frivoles docteurs
Il fallait suivre alors les arrêts des pasteurs,
Captiver son esprit et d’une âme soumise,
N’écouter que le chef et le corps de l’Église.
Ainsi parlaient Gamache, Isambert et Duval.
Mais vous cessez enfin de raisonner si mal.
Aujourd’hui condamnant cette doctrine folle,
Le pape est à vos yeux une impuissante idole ;
Le dépôt de la foi n’est plus entre ses mains ;
Il ne prononce plus de jugements certains ;
Pour messieurs les prélats, ils sont ce que nous sommes,
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes ;
Ils proscrivent en vain et leurs brillantes croix
À leurs faux jugements ne donnent aucun poids ;
La vérité les fuit, les canons, l’Écriture
Sont les vrais monuments de la doctrine pure.
Le pape et les pasteurs ne font point une loi,
Le simple peuple est juge et témoin de la foi.
L’esprit saint a quitté la mitre et la tiare,
Et pour les vouloir suivre, aujourd’hui on s’égare.
Tels sont vos sentiments, de grâce entendons-nous,
Et nous serons bientôt papistes comme vous.
Genève, direz-vous, suit un faux Évangile,
Calvin est foudroyé de la main d’un concile ;
Mais ce concile, alors déclaré contre lui,
N’était que des prélats comme ceux d’aujourd’hui.
L’ignorance à leurs yeux nous rendit hérétiques.
Ils étaient courtisans et rusés politiques.
L’injustice et l’erreur dicta leurs jugements
Et sapa de la foi les sacrés fondements.
Pourriez-vous maintenant condamner ce langage ?
A parler comme nous, votre foi vous engage.
Comme nous, réprouvez du pontife romain,
Poursuivis des pasteurs les foudres à la main,
Exécrables objets d’une vive censure,
Tout notre corps traité d’impie et de parjure,
Entendons-nous encor vos célèbres docteurs
Dire : Soumettez-vous à la foi des pasteurs ?
Cessez de nous vanter vos dogmes catholiques
Ou de nous reprocher nos erreurs schismatiques.
Ah ! plutôt désormais, unis de sentiments,
Condamnons à l’envi tous ces vains mandements,
Ces écrits émanés d’un tribunal injuste
Qui pleuvent chaque jour sur votre corps auguste.
Rendez de vos prélats le pouvoir superflu,
Devenez dans l’Église un concile absolu,
Le flambeau de la foi, l’oracle de la France,
Tels vous peint à nos yeux le sénat de Provence.
Qu’il nous est doux de voir vos membres en courroux
Au corps épiscopal porter de tristes coups !
Non, malgré le surnom qu’un poète vous donne,
Ce n’est plus aujourd’hui l’ignorante Sorbonne.
Ainsi vous appela le célèbre Clément,
(J’entends Clément Marot), nous déclarons qu’il ment.
La Sorbonne n’est point un confus assemblage
De grimauds effrontés, de pédants pleins de rage.
On le publie en vain, vos augustes décrets
Qui des grands tribunaux méritent les arrêts
Et dont les Cicérons embrassent la défense,
Font voir de vos docteurs la haute suffisance.
S’ils ont pour ennemis la foule des prélats,
Ils ont pour les dompter l’appui des magistrats,
Qui, la balance en main, de leur glaive profane
Font pâlir les pasteurs dont la voix vous condamne.
Généreux défenseurs des saintes libertés,
Ils feront triompher vos saintes nouveautés.
Déjà, par deux arrêts Rome se voit flétrie ;
On entend, il est vrai, le peuple qui s’écrie :
Quel spectacle, grand Dieu ! quel étrange chaos !
L’autel est aujourd’hui soumis aux tribunaux ;
La fougueuse hérésie, en perruque carrée,
Foule aux pieds des pasteurs l’autorité sacrée.
Laissons, laissons gémir le timide chrétien
Dont l’esprit est tenté de ne croire plus rien.
Méprisons ses frayeurs : la savante Sorbonne
Va bientôt consacrer le schisme qui l’étonne.
Il verra parmi vous le papisme abhorré
Faire du doctorat le sublime degré.
Il voit, il voit déjà l’école sorbonnique
Former de sa poussière un siège apostolique
Et bravant des prélats la tyrannique loi
Établir dans la France une nouvelle foi.
Courage, grands docteurs, le temps est favorable ;
Secouez avec nous un joug qui vous accable.
Rome va vous proscrire, et vous aurez le sort
Des universités de Lipsic et d’Oxfort.
De Genève suivez le glorieux exemple :
Samarie et Juda n’ont plus qu’un même temple.
F.Fr.12800, p.242-46 - Arsenal 2975/2, p.49-53 - BHVP, MS 551, p.257-60 - Avignon BM, MS 1223, p.450-54 - Les Tocsins, avec les écrits et les arrêts publiés… (1716), p.593-95 - Toulouse BM, MS 861, p.25-28
Le libelle en vers qui a pour titre Epître de Genève à la Sorbonne et que l’on attribue au P. Du Cerceau, jésuite, a je ne sais quoi encore de plus malin et renferme une calomnie si impudente contre ce corps illustre de théologiens, que ce poète envenimé voudrait faire regarder comme un corps d’hérétiques, qu’il n’y a guère qu’un jésuite qui soit capable de cet excès (Tocsins, p.VI). Il y fut répondu en $4387, à quoi l'auteur de l'Épitre répliqua encore en $6862