Aller au contenu principal

Ode sur la mort de Monseigneur Colbert

Ode sur la mort de Monseigneur Colbert1
Dans ces jours de deuil et de crainte,
Je viens me jeter dans ton sein,
Foi pure ! religion sainte !
Inspire-moi ton feu divin.
Que vois-je ! nouvel Isaïe,
L’ange d’un feu qui purifie
Brûle mes lèvres et mon cœur,
L’esprit saint possède mon âme,
Me donne une langue de flamme ;
Ma voix est la voix du Seigneur.

Répondez, hommes infidèles,
Coupables enfants de l’erreur ;
Jusques à quand, à Dieu rebelles,
Endurcirez-vous votre cœur ;
Vous ne respirez que vengeance,
La fortune est votre espérance,
La fureur, votre charité ;
Votre dogme, au lieu de science,
Prêche à tout chrétien l’ignorance
Et l’aveugle crédulité.

Par vous donc, aveugles ministres,
D’autres aveugles sont menés,
Guidés par vos conseils sinistres,
L’un par l’autre ils sont entraînés ;
Réunis avec différence,
L’un suit la commode ignorance,
L’autre l’utile ambition ;
Pour vous, le nombre seul décide ;
L’Évangile est un mauvais guide,
Ainsi que la tradition.

O vous ! sacrés dépositaires,
Ministres saints, unissez-vous ;
La foi, les conciles, les pères,
S’arment et combattent pour nous.
Mais on saura bien leur répondre ;
Les preuves qui vont vous confondre
Sont l’exil, les fers, la prison ;
La doctrine émane du trône,
La foi s’y décide et s’ordonne,
Et la force fait la raison.

Défense digne d’une cause
Qui combat la religion ;
Aux vérités l’erreur oppose
L’horrible persécution ;
Le monde aux siècles de Jêrome,
D’Athanase et de Chrysostome,
Se vit ainsi presque à rien ;
Suivons donc cette trace auguste,
Passer pour méchant, pour injuste,
Aujourd’hui c’est être chrétien.

Vos destins, hommes magnanimes,
Par Dieu même ont été prédits ;
Vous serez, quoique exempts de crimes,
Et calomniés et maudits.
Rendez au Roi l’obéissance,
Baisez la main qui vous offense,
Vos armes sont la charité,
Votre joie est dans la souffrance,
Vos richesses dans l’indigence,
Dans les fers votre liberté.

Quelle tempête formidable,
Nous menace d’un triste sort,
Colbert, cet homme irréprochable,
A subi les lois de la mort.
Que l’Église aux pleurs s’abandonne,
La mort renverse une colonne
Qui soutenait ses saints autels ;
Colbert consacra tout pour elle,
Ses biens, sa fortune, son zèle,
Son temps, ses écrits immortels.

Pleure à jamais un si bon père,
Peuple, cher objet de son cœur,
Vois dans les mains du mercenaire
La houlette de ton pasteur.
Les brebis, tristes et tremblantes,
Éprouvent les fureurs sanglantes
De quatre lions dévorants ;
Leur gueule, écumante de rage,
Ne respire que le carnage
Qu’ils désiraient depuis longtemps.

L’un, au teint blême, à l’œil farouche,
Est lui seul p1us cruel que tous ;
L’écume coule de sa bouche,
Il médite les plus noirs coups ;
La vérité blesse sa vue,
La vérité par lui battue,
Doit céder aux plus vils talents ;
Arrêtez, grand Dieu ! leur délire,
Ils vont en un moment détruire
Le bien formé depuis trente ans.

Seigneur, montrez votre visage,
Faites triompher votre foi,
Punissez le coupable outrage
Qu’ils font à votre sainte loi ;
Les défenseurs de votre grâce
Sont écartés de toute place ;
Ils sont dans l’exil, dans les fers ;
La vertu paraît confondue,
L’impie erreur est répandue
Et semble inonder l’univers.

Vos paroles sont infaillibles,
Je vois paraître votre main ;
Moins nous avons d’appuis visibles,
Plus votre secours est certain ;
Celui qui fixe aux eaux bornées
Des limites déterminées,
Sait bien arrêter les méchants ;
Si l’homme manque au Dieu suprême,
A l’Église de Pierre même
Il suscitera des enfants.

  • 1Charles‑Joachim Colbert, second fils du marquis de Croissy (1667‑1738), avait été grand vicaire de Rouen et agent général du clergé de France, lorsqu’il fut appelé en 1697 à l’évêché de Montpellier. Le jansénisme trouva en lui un de ses plus ardents défenseurs ; il publia nombre d’instructions et de mandements sur les questions controversées qui contribuèrent à aggraver les querelles religieuses, et se montra l’un des plus fervents adeptes des miracles du diacre Pâris. « Il est mort, dit Barbier, au grand regret du parti janséniste ; c’était un des chefs qui ne craignait ni menaces, ni récompenses, et qui était habile et honnête homme. » (R)

Numéro
$0868


Année
1738




Références

 Raunié, VI,214-18 - Clairambault, F.Fr.12808, p.171-76 -Maurepas, F.Fr.12635, p.103-07 - F.Fr.15149, p.121-30 - BHVP, MS 659, p.209-14