Parodie de la 2ème scène du 2ème acte du Cid
Parodie de la 2ème scène du 2ème acte du Cid
sur le cardinal de Noailles
Le pape et le cardinal
Le cardinal
A moi, Clément, deux mots
Le Pape
Parle
Le Cardinal
Connais-tu bien Quesnel ?
Le Pape
Oui
Le Cardinal
Lui-même ?
Le Pape
Sans doute
Le Cardinal
Hé bien, parlons tout bas, écoute
Sais-tu que ce vieillard est la même vertu,
La sagesse et l’honneur de son temps ? le sais-tu ?
Le Pape
Peut-être
Le Cardinal
Cet esprit qu’en mes écrits je porte
Sais-tu que c’est le sien ? le sais-tu ?
Le Pape
Que m’importe.
Le Cardinal
En quatre mots d’appel je te le fais savoir.
Le Pape
Prélat audacieux
Le Cardinal
Parle sans t’émouvoir.
Je le suis, il est vrai, mais toute âme bien née
Aurait voulu m’y voir dès la première année.
Le Pape
Te roidir contre moi ! qui t’a rendu si vain,
Toi qui reçus jadis tant d’honneurs de ma main ?
Le Cardinal
Sans trahir mon pays je te le fais connaître,
On veut un pape, soit, on ne veut pas un maître.
Le Pape
Sais-tu bien qui je suis ?
Le Cardinal
Oui, tout autre que moi pourrait trembler d’effroi.
Jusques au Vatican par un culte frivole
Je vois tous nos prélats se chercher une idole
Et rompant avec moi pour m’accabler d’effroi
D’un insultant opprobre oser couvrir mon front.
Les noirs suppôts de Rome, esclaves de la brigue,
D’innombables forfaits noourrissent cette intrigue
Et contre moi du foudre ont su t’armer le bras.
Mais qui l’aurait prévu ne l’appréhende pas
Ces monstres dont longtemps la haine fut ouverte
En vain portent partout le destin de ma perte.
J’appelle en Athanase et pour être vainqueur
J’aurai le même front, ayant le même cœur.
A qui venge l’Église, il n’est rien d’impossible
Le concile, malgré toi, doit seul être infaillible.
Le Pape
Que je reconnais mal aux discours que tu tiens
Tes premiers sentiments si conformes aux miens !
Je disais, il me doit la pourpre dont il brille,
Je puis en sûreté lui confier ma fille,
Je connais tout son zèle ; ah ! pour la recevoir
Il oubliera sans doute un frivole devoir
Et sans mal à propos faire le magnanime
Sa liberté fera le prix de mon estime.
Mais voulant pour ma fille un esclave parfait,
Dieu ! que je me trompais au choix que j’avais fait.
Contre moi, sans respect, il soutient l’évangile,
Au rebelle Quesnel il fournit un asile
Et du fond des enfers où je l’ai foudroyé
Ce monstre contre moi l’a, je crois, envoyé.
Sur des décrets obscurs tu veux que je m’explique
Que de cent-une erreurs l’aveu soit authentique
Et que reconnaissant de justes libertés
Par l’exacte raison mes droits soient limités ?
Malgré cela, pour toi, mon âme s’intéresse :
Signe, et dans le moment j’excuse ta faiblesse.
Crois-moi, ne presse pas un concile fatal,
Sauve à tes sentiments un combat inégal.
Trop peu d’honneur suivrait cette grande victoire,
A vaincre sans péril on triomphe sans gloire.
L’on te croirait toujours abattu sans effort
Et j’aurais seulement le reegret de ton sort.
Le Cardinal
D’une indigne pitié ta faveur est suivie :
Qui m’ose ôter l’honneur craint mon ignominie.
Le Pape
Signe et n’en parle plus.
Le Cardinal
Au concile ou jamais.
Le Pape
Quoi, tu veux un concile ?
Le Cardinal
En crains-tu les décrets1
?
Le Pape
Non, non, mais dans le sein de l’Église, ta mère,
Tremble, et redoute encor les fureurs du Saint-Père.
- 1En crains-tu le décret ? Le pape - Moi, craindre ! Moi, de Dieu le vicaire visible ! / Sache Maître Louis, qu’un pape est infaillible, / Qu’il fait trembler la terre et tient les cieux ouverts / qu’il ouvre et ferme seul la porte des Enfers. – Le cardinal - Sache, Maître Clément, plus qu’un autre faillible / Que pour réduire un pape, il ne faut qu’un concile. (Courrier politique et galant - Besançon)
F.Fr.10475, f°209-10 - F.Fr.13656, p.107-09 - F.Fr.15143, p.51-58 - BHVP, MS 639, p.55-63 - BHVP, MS 659, p.157-62 - Courrier politique et galant, 4 mai 1719 - Besançon BM, MS 561, p.199-200