Parodie de la scène 6 du 4ème acte d'Iphigénie
Parodie sur la scène 6 du IVème acte d’Iphigénie1
M. le cardinal de Noailles et M. de Montpellier.
Montpellier
Un bruit assez étrange est venu jusqu’à moi,
Seigneur, je l’ai jugé trop peu digne de vous.
On dit, et sans horreur je ne puis le redire,
Que la bulle aujourd’hui de votre aveu respire
Que vous-même, étouffant tout mouvement divin,
L’allez malgré l’appel signer de votre main.
On dit que par Dubois à la cour rappelé,
Elle voit à ses pieds sa rivale immolée.
Et d’explications abusant les prélats
Vous signez ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.
Qu’en dites-vous, seigneur, que faut-il que j’en pense ?
Ne ferez-vous pas taire un bruit qui vous offense ?
Le cardinal
Prélat, je ne rends point compte de mes desseins ;
L’Église ignore encore mes projets incertains.
Et quand il sera temps, qu’elle en soit informée.
Vous apprendrez son sort et votre destinée.
Montpellier
Ah ! Je sais trop le sort que vous lui destinez !
Le cardinal
Pourquoi le demander, puisque vous le savez ?
Montpellier
Pourquoi je le demande ? O ciel, le puis-je croire
Qu’on ose des horreurs avouer la plus noire ?
Vous pensez qu’approuvant vos desseins odieux,
Je vous laisse immoler notre Église à mes yeux.
Que l’honneur, que la foi d’un évêque y consente ?
Le cardinal
Mais vous qui me parlez d’une voix menaçante,
Ignorez-vous ici qui vous interrogez ?
Montpellier
Vous-même, oubliez-vous quel Dieu vous outragez ?
Le cardinal
Eh ! qui vous a chargé du soin de mon Église ?
Ne puis-je la forcer à me rester soumise ?
Ne suis-je plus son père ? Êtes-vous son pasteur ?
Montpellier
Non, non, vous devenez un traître ravisseur.
On ne m’abuse point par des promesses vaines
Tant qu’un reste de sang coulera dans mes veines.
À défendre la foi, je dois tous mes moments,
Je soutiendrai ses droits fondés sur mes serments.
À mes soins, vous me l’aviez jadis recommandé.
Le cardinal
Plaignez-vous aux prélats qui me l’ont enlevée.
Accusez le Régent, le Conseil tout entier.
Dreville, Rohan, Couet et vous tout le premier.
Montpellier
Moi ?
Le cardinal
Vous qui, du Vatican, embrassant la conquête
Irritez tous les jours la cour qui vous arrête.
Vous qui, vous offensant de mes justes terreurs,
Avez dans tout Paris répandu vos fureurs.
Montpellier
Juste ciel ! Puis-je entendre et souffrir ce langage ?
Est-ce ainsi qu’au parjure on ajoute l’outrage ?
….
Pourquoi sourd à la voix de dangereux amis
Cimentais-je en secret la quadruple alliance ?
Qui des liens romains a délivré la France ?
Et quel fut le dessein qui nous assembla tous ?
Ne rendîmes-nous pas l’Église à son époux ?
Depuis quand pensez-vous qu’inutile à moi-même,
Je vous laisse offenser la vérité que j’aime ?
Trop heureux de mon choix, soins, peines et travaux,
Ma foi lui promit tout et rien à ses rivaux.
La vérité m’a plu, je travaille à lui plaire.
Elle est de mes serments seule dépositaire.
Je ne connais Clermont, Bayonne, ni Paris
Anathème à la bulle, on ne m’a qu’à ce prix.
Le cardinal
Fuyez, retirez-vous dans votre Montpellier.
Je vous rends le serment dont il plut vous lier.
De la France déjà vous vous rendez l’arbitre.
Les prélats selon vous m’ont orné d’un vain titre.
Assez d’autres viendront à mes ordres soumis
Se couvrir de lauriers qui vous furent promis
Et, par de beaux exploits forçant la destinée,
Trouveront de Quesnel la fatale journée.
Sûr de votre valeur, tout, si je vous en crois,
Doit marcher, doit fléchir, doit tomber sur vos lois.
Un bienfait reproché tient toujours lieu d’offense.
Je veux moins de valeur et plus d’obéissance.
Sujet, je ne crains point votre impuissant courroux.
Et je romps tous les nœuds qui m’attachent à vous
Montpellier
Rendez grâce au seul nom qui retient ma colère :
De Noailles encore je respecte le frère.
Peut-être sans ce nom le plus mol des prélats
Sentirait ce que peut la valeur de mon bras.
Je ne dis plus qu’un mot ; c’est à vous de l’entendre,
J’ai la religion et mon âme à défendre.
Pour attaquer la foi que vous voulez blesser,
Voilà par quel chemin vos coups doivent passer.
- 1On ignore le nom de l’auteur de cette parodie, faite à l’imitation de la tragédie d’Iphigénie par Molière (sic). Elle a été composée au sujet de l’accommodement de la constitution Unigenitus, fait suivant les explications que M. le cardinal de Noailles a dressées sur chaque proposition condamnée par cette bulle (M.).
Clairambault, F.Fr. 12697, p.391-95 - Maurepas, F.Fr.12630, p.237-40 - Buvat, II, 89-92
Une parodie de la même scène en $3067 (à propos de l’affaire Girard / La Cadière) et en $3639 (Dispute des deux soeurs, Mme de Mailly et Mme de la Tournelle)