Le retour triomphant de l’archevêque de Reims
Le retour triomphant de l’archevêque de Reims1
De notre archevêque Mailly
La fortune admirable
Fait que personne n’a failli
A lui rendre honorable
Son retour heureux, triomphant,
Et digne de mémoire ;
Du fait véritable et constant,
Messieurs, voici l’histoire.
Chargé de lettres de cachet,
Tel qu’est l’ail quand il grêle,
Il entra le deux de juillet,
Par la porte de Vesle ;
Il s’en revenait de Paris,
Exprès pour satisfaire
Des ultramontains, ses amis,
L’implacable colère.
Il était lors environné
De la maréchaussée.
Tout le peuple fut étonné,
En voyant cette entrée ;
Au prévôt quelques acceptants,
Adjoints par bienséance,
Faisaient du sort des appelants
Leur cour à l’Éminence.
Daniel, ornant sa maison2
Par malice peut-être,
De lierre avait à foison
Décoré sa fenêtre.
Là, pendait au bout d’un filet
Sur un tapis honnête
Du prélat le brillant portrait,
Comme en un jour de fête.
De Daniel il faut savoir
Quel est le noble office,
Que c’est son principal devoir
De servir la justice ;
Qu’autorisé par ses arrêts
Il brûle, il pend, il roue ;
Et qu’à s’acquitter de tels faits,
Sa grande adresse on loue.
En passant devant le tableau
L’un disait par folie :
Notre évêque est par le bourreau
Pendu en effigie ;
L’autre disait : Notre prévôt,
Avec ses gens d’élite,
Le conserve comme en dépôt
Et le ramène au gîte.
Pour arrêter de tels discours,
L’officier de police,
A qui l’on avait eu recours,
Promit un prompt service.
Chez Daniel étant venu
En grande diligence,
Ledit tableau fut dépendu
Suivant la remontrance.
Mais quel événement suivit
Ce retour si célèbre !
Après deux mois dix jours on vit
De sa pompe funèbre
Le prompt et notable appareil
Par une circonstance
Aux gens sensés qui montre à l’oeil
Un trait de Providence3
.
A la mi-août il célébra
Enfin pour les fidèles
La grand’messe, qui, ce jour-là,
Est des plus solennelles,
Depuis quatre ans n’ayant voulu,
Chose qui scandalise,
Assister, comme il aurait dû,
Au choeur dans son église.
La raison qu’il en alléguait,
Par esprit schismatique,
Est que chanter il ne voulait
Aucun divin cantique,
En présence des appelants
Que par un vain scrupule
Il traitait de frères errants
Opposés à la bulle.
Lors, officiant bien joyeux,
Son plaisir fut extrême
D’avoir éloigné de ces lieux,
Par un ordre suprême,
Chanoines, docteurs et curés
Proscrits par sa cabale4
Comme adversaires déclarés
De la bulle fatale.
Ce même jour on fut surpris
De voir sa défaillance ;
Le cours suspendu des esprits
Trouble sa connaissance ;
Son corps d’ulcères tourmenté
En peu de temps se ruine,
Ensuite il meurt tout infecté
Et mangé de vermine5
.
Outre ces grands emportements
Causés par la dispute,
Il privait des saints sacrements
Ceux qu’il avait en butte ;
Mais lui-même ainsi soulevé,
Contre eux en fanatique,
A la mort il en est privé,
Au moins du viatique.
Plaise à Dieu, de ce triste cas
Qu’une histoire plus ample
Rende utile à d’autres prélats
Ce mémorable exemple !
Que la mort des persécuteurs
Les touche et les instruise,
Et que plus doctes et meilleurs
Nul point ne les divise !
- 1Fait à l’occasion du voyage qu’il fit à Reims, au mois de juillet 1721, muni de lettres de cachet contre plusieurs chanoines et curés pour les forcer à recevoir la Constitution (M.) (R
- 2Le bourreau de la ville décora sa fenêtre d’un tapis sur lequel il mit un portrait du cardinal pendu à un cordon. (M.) — On lit dans le Journal de l’abbé Dorsanne : « Il arriva à son entrée à Reims un événement assez comique. Le bourreau de Reims avait sa maison sur le chemin par lequel la nouvelle Éminence devait passer. Poussé d’un zèle indiscret, il mit devant sa porte un tapis sur lequel il suspendit le portrait du cardinal et mit au‑dessus une couronne de laurier. Le portrait de Son Éminence resta ainsi en spectacle pendant deux heures. Enfin quelqu’un vit le ridicule. Les magistrats avertis envoyèrent trois archers pour enlever le tapis, le portrait et la couronne, et pour demander au bourreau pourquoi il avait ainsi exposé à sa porte le portrait de M. Ie cardinal. Il était absent ; sa femme les contenta en leur disant que c’était pour faire enrager les jansénistes. » (R)
- 3« Le cardinal de Mailly, archevêque de Reims, est mort d’apoplexie dans son abbaye de Saint-Thierry, à Reims le 13 septembre, âgé de soixante-trois ans. Né le 4 mars 1658, fait cardinal le 29 novembre 1719. – Punition et vengeance disent les jansénistes. Il n’a pas longtemps joui de la pourpre, elle l’a étouffé. » (Journal de Marais.) (R)
- 4« La scène qu’il a faite dans son église, le jour de l’Assomption, d’où il avait fait bannir et exiler bien des gens, et dont il avait fait réduire le chapitre à un très petit nombre qui avait rétracté son appel, et dont les Gazettes ont parlé. » (Journal de Marais) (R)
- 5« Il avait depuis quelque temps une fistule, sans que personne le sût chez lui, raconte l’abbé Legendre. Maréchal, premier chirurgien du roi et ami de M. de Mailly, venait le panser à petit bruit, sous prétexte de lui rendre visite. Il l’avait souvent assuré qu’il pourrait aller à Rome et en revenir ; mais cet habile homme se trompa, car, la veille que nous devions partir, M. de Mailly sentit de si vives douleurs qu’il fallut lui faire l’opération le lendemain ; cette opération n’ayant pas été assez complète, on fut obligé, au bout de sept ou huit jours, de lui en faire une seconde. Depuis ce massacre, il ne fit que languir, et la fièvre étant survenue environ six semaines après, il mourut au bout de deux jours. Grande perte pour l’église de Reims. Il n’y avait point de diocèse mieux réglé ; grande perte aussi pour l’Église romaine, pour celle de France et encore pour l’Etat. Je n’ai point connu d’homme plus affectueusement français. » (R)
Raunié, IV,93-99 - Clairambault, F.Fr.12698, p.49-51 et p.53-55 - Maurepas, F.Fr.12630, p.381-85 - F.Fr.13655, p.504-06 - Arsenal 2962, p.136-39 - Arsenal 3231, p.609-12