La Rétractation du cardinal de Noailles
La rétractation du cardinal de Noailles
Enfin Noaille a succombé1
!
Dagon est maître de ses armes ;
Le chef d’Israël est tombé,
Pleurez, mes yeux, fondez en larmes :
L’arche sainte et ses chérubins
Est au pouvoir des Philistins.
Déserteur du camp des Hébreux,
Couet2
, infâme Amalécite,
As-tu bien osé, malheureux,
Tromper ce grand Israélite,
Et par un éternel affront
Flétrir les lauriers de son front ?
Tu n’as cessé de tourmenter
Ce vieillard faible et sans mémoire3
,
Pour le forcer à rétracter
Ce qui l’avait comblé de gloire ;
Ainsi ce qu’il fait aujourd’hui
Est de Couet et non de lui.
Traître, tu vas mettre au tombeau,
Dans la douleur la plus amère,
Ce pasteur si cher au troupeau
Qui cherche Dieu d’un cœur sincère ;
Après tout le bien qu’il t’a fait
Peux-tu laver un tel forfait ?
Non, ce mandement concerté
Qu’extorque de lui la cabale
N’aura point cette autorité
Qu’eut l’instruction pastorale,
Que lui dicta la vérité
Lorsqu’elle était en liberté.
Et toi, Guéret4
, qui nous parus
Si zélé, si plein de courage
Contre la bulle et ses abus,
Pourquoi changes-tu de langage ?
Quel ange a dessillé tes yeux ?
Est-il de l’enfer ou des cieux ?
Guéret, et pauvre et paysan5
,
Nous disait : La bulle est impie ;
Devenu riche et courtisan,
Il l’adopte et la justifie ;
Je laisse à juger au lecteur
Qui, des deux Guéret, est menteur.
La Tour6
veut régner dans un corps
Au molinisme peu docile,
Comme pour vaincre le plus fort,
Il croit la bulle très utile,
Quoiqu’elle renverse sa foi,
Il veut nous la donner pour loi.
Mais quel étrange changement !
Le grand auteur du Témoignage,
Laborde vient en ce moment
De se réunir à Pélage7
.
Par quel prodige, hélas ! le ciel
Vit-il jamais rien de pareil ?
Peuple que la bulle proscrit,
Mets en Dieu seul ta confiance ;
Ne crains rien, cherche Jésus-Christ,
Attends et souffre en patience ;
Dieu, sûrement, saura calmer
Tous ces flots prêts à t’abîmer.
- 1On lit dans le Journal historique du règne de Louis XV : « Le cardinal de Noailles par un mandement (du 11 octobre) accepte la Constitution Unigenitus, condamne le livre des Réflexions morales, et les cent une propositions qui en ont été extraites, révoque son instruction pastorale du 14 janvier 1719, et tout ce qui a été publié en son nom de contraire à la présente acceptation. Cette rétractation du cardinal de Noailles, que la cour de Rome et le ministère de France négociaient depuis longtemps, ne fut pas universellement applaudie par le clergé du royaume. Tous les appelants et ceux qui l’étaient dans le cœur, la désapprouvèrent et en furent consternés. Les acceptants, au contraire, en triomphèrent. » L’indécision antérieure du cardinal de Noailles et cette rétractation par laquelle il donnait un démenti à sa vie passée, s’expliquent tout naturellement si l’on tient compte de l’influence que ses deux nièces, la maréchale de Gramont et la duchesse de La Vallière, avaient depuis longtemps prise sur lui. « C’était entre ces deux dames à qui s’emparerait du bonhomme, nous dit l’abbé Legendre, et selon qu’il était subjugué par l’une ou par l’autre, il disait oui ou non, faisait ou défaisait. La maréchale était constitutionnaire, la duchesse était janséniste, l’une insistait pour qu’il reçût la constitution purement et simplement, et l’autre au contraire pour qu’il ne la reçût de quelque manière que ce fût. » Mais Fleury qui avait à cœur la paix de l’Église et avait promis au pape d’employer ses bons offices pour obtenir la soumission de Noailles, se joignit à la maréchale, et leurs obsessions communes vinrent à bout de la résistance du prélat ; il est vrai que leur triomphe, comme on le verra bientôt, fut de courte durée.
- 2Chanoine de Notre‑Dame et conseil de l’archevêque. Il fut poignardé par un de ses parents. (M.)
- 3« Les jansénistes disent que le cardinal est imbécile, que l’esprit lui est tombé et qu’on lui a fait faire ce qu’on a voulu. » (Journal de Barbier.)
- 4Curé de Saint‑Paul et ci‑devant curé de Brie‑Comte-Robert. (M.)
- 5Le satirique a sans doute voulu faire allusion à l’humble cure dont Guéret était titulaire avant d’obtenir celle de Saint‑Paul. Marais, qui ne s’est pas rendu compte de l’intention, critique le mot de paysan : « Le curé, dit‑il est fils de M. Guéret, avocat, homme d’un très grand mérite, premier auteur du Journal du Palais… S’il n’était pas mort jeune, il eût poussé sa réputation au plus loin ; ainsi le chansonnier a été très mal informé de la condition du curé de Saint‑Paul, qui, je crois, ne vaut pas son père. » (Correspondance avec Bouhier.)
- 6Le P. de La Tour, général de l’Oratoire, avait tourmenté le cardinal de Noailles pour lui faire accepter la Constitution. (M.)
- 7Vivien Laborde, prêtre de l’Oratoire et directeur du séminaire Saint‑Magloire, avait publié, en 1714, le Témoignage de la vérité dans l’Église, ouvrage destiné à prouver l’irrégularité de toutes les mesures prises en faveur de la Constitution. Depuis 1721, il résidait à l’archevêché et comptait parmi les conseillers intimes de Noailles ; il ne fut donc pas étranger à sa rétractation.
Raunié, V, 149-53 - Clairambault, F.Fr.12699, p.407-08 et p.473-74 - Maurepas, F.Fr.12631, p.465-67 - F.Fr.12674, p.191-95 - F.Fr.15018, 162v-164v - F.Fr.15132, p.161-62 - Arsenal 2930, p.502-06 - Arsenal 3116, f°79v-80v - Mazarine, MS 2164, p.237-41 - Mazarine Castries 3984, p.242-45 - BHVP, MS 542, f°8-12 - BHVP, MS 547, (non numéroté) - BHVP, MS 658, f°114-17 - Toulouse BM, MS 855, f°222v-224v
Lorsque M. le cardinal de Noailles signa la Constitution.