Cantique spirituel…
Cantique spirituel sur les vérités les plus importantes
de la religion et de la morale chrétienne1
Sans grâce on ne peut rien faire,
Sans grâce au mal attaché,
Notre cœur n'est que péché.
Partout elle est nécessaire
Pour commencer l'action,
L'avancer et la parfaire ;
Pour commencer l'action
De la grâce il faut le don.
Sur l'âme elle a tout l'empire.
En gagnant sa volonté
Sans blesser sa liberté
Tout bien elle sait produire.
Son invincible douceur
À Dieu le pécheur attire,
Son invincible douceur
Rompt la dureté du cœur.
Quand des entraves du Diable
Dieu veut une âme arracher
Rien ne saurait l'empêcher.
Son décret est immuable
En tout temps, en tout lieu.
Un effet indubitable
En tout temps, en tout lieu,
Suit le sûr pouvoir de Dieu.
Sans la foi, que de misères
Sans Jésus, sans charité
Tout n'est que cupidité,
Que ténèbres grossières.
Esprit Saint, remplis nos vœux,
Donne-nous tes lumières,
Esprit Saint, remplis nos vœux,
Embrase-nous de tes feux.
L'amour seul arrive au trône.
Du Seigneur Saint par trois fois
Il n'exauce que sa voix ;
C'est lui que sa main couronne,
Seul il honore le roi
Dont la grandeur nous étonne,
Seul il honore le Roi,
Seul il observe la loi.
La foi, grâce première,
Opère par cet amour.
De notre futur séjour
Il est la clé salutaire.
Rien n'est fait chrétiennement
Dans l'œuvre ou dans la prière,
Rien n'est fait chrétiennement
Sans ce divin mouvement.
La crainte n'est pas capable
De changer le cœur humain ;
Elle arrête bien la main,
Le cœur demeure coupable.
L'amour seul peut convertir
Et rendre Dieu favorable.
L'amour seul peut convertir
Par un tendre repentir.
Que grande est la différence
De l'une et de l'autre loi !
L'ancienne est pleine d'effroi.
Laissez là son impuissance.
L'amour, la grâce et la foi
Qui du chrétien sont l'essence,
L'amour, la grâce et la foi
Forment la nouvelle loi.
Deux amours dans la morale
Distinguent toute action.
L'amour-propre dit Léon
N'a qu'une force fatale.
Mais pour vous, amour divin,
Vous, charité filiale,
Mais pour vous amour divin,
Vous faites toujours le bien.
Vous êtes, Sainte Écriture,
Des faibles enfants le lait,
Et de tout chrétien parfait
La solide nourriture.
C'est donc du lait nous priver
D'empêcher votre lecture
Et le pain nous enlever.
Grand Dieu, juge cette affaire :
À moi qui suis votre fils
De lire il n'est plus permis
Le Testament de mon père.
Pourquoi défendre à l'enfant
Ce que l'esclave a pu faire ?
Pourquoi défendre à l'enfant
De lire le Testament ?
De l'Église font la gloire
Les justes de tous les temps,
Qui, comme membres vivants
Seuls ont part à la victoire.
Les méchants lui sont unis.
Qui refuse de le croire
Les méchants lui sont unis
Mais comme membres pourris.
Éloigner un grand coupable
De l'autel de sainteté,
C'est prudence et charité,
Et le contraire est blâmable.
De changer il a promis,
Mais sa promesse est peu stable ;
De changer il a promis ;
Qu'il souffre d'être remis.
Crainte d'une injuste foudre
Manquerai-je à mon devoir ?
De Dieu craignons le pouvoir,
Il saura bien nous absoudre
Contre son autorité
L'homme ne doit rien résoudre ;
Contre son autorité,
Que peut la malignité ?
Voilà les leçons sublimes
De Prosper le Célestin,
De Fulgence et d'Augustin,
En ces points tous unanimes
Dans la bouche de Quesnel
Deviennent-elles des crimes ?
Dans la bouche de Quesnel
Serait-ce poison mortel ?
Non, non, la vérité sainte
Est toujours la vérité ;
Ce qu'elle a jadis dicté
Porte encore son empreinte,
Et jamais l'âge futur
Ne peut lui donner atteinte
Et jamais l'âge futur
Ne peut le rendre moins sûr.
C'est pourquoi du Très Saint-Père
Laissant là la décision
Et sa Constitution
J'endure en paix sa colère ;
Le concile est plus que lui :
Qu'il décide, j'y défère.
Le concile est plus que lui
Mon inébranlable appui.
Loin surtout cette cabale
Où la brigue et le crédit
Où l'amour du siècle ourdit
Une paix vaine et fatale.
La foi, l'Église et le Christ
Est simple, est toujours égale
La foi, l'Église et le Christ
Jamais fraude ne souscrit.
paix fausse et chimérique !
Par elle tout à la fois
Je proscris et je reçois
La doctrine catholique.
Dans cet accommodement
Quelle absurde politique !
Dans cet accommodement
Quel affreux déguisement !
À la chaire de saint Pierre
Je me tiens pourtant lié
Et de nulle erreur souillé
Je chante d'un cœur sincère :
De l'Église je suis le fils,
Je crois ce qu'elle fait croire ;
De l'Église je suis le fils
Et lui veux être soumis.
- 1Autre titre : Cantique spirituel sur les 101 propositions de la Bulle Unigenitus.
Clairambault, F.Fr.12699, p.111-14 - Maurepas, F.Fr.12631, p.185-91 - F.Fr.12800, p.246-52 - Arsenal 2976, p.43-49 - Arsenal 8°T4563 (imprimé) - BHVP, MS 602, f°106v-109r - Mazarine Castries 3983, p.69-76