Aller au contenu principal

Sans titre

Entretien d'un pécheur avec son confesseur

sur les propositions condamnées par la Constitution


Le pénitent

Retirez-vous d’ici, scrupuleux confesseur,

Rome vient aujourd’hui dissiper ma frayeur.

En vain vous m’exhortez à faire pénitence,

Le Pape dans sa Bulle accorde l’indulgence.

Il veut que désormais, dans le crime vieilli,

Un pécheur soit absous en disant : J’ai failli.

Ainsi, par ce seul mot, sans tant de manigance,

Daniel de ses forfaits a eu pleine quittance.

C’est assez nous tromper, prophète de malheur.

Allez parler ailleurs d’un engagement de cœur.

Mais saint Paul, dites-vous, tient-il pas ce langage ?

J’en conviens, mais saint Paul après tout n’est pas sage,

L’apôtre ne prend pas toujours le bon parti.

Le Pape en maints endroits lui donne un démenti.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’en fort bon casuiste

Le Tellier s’aperçoit qu’il était jésuite.

Plût à Dieu que ce saint eût été de nos jours,

Il aurait bien fallu qu’il changeât de discours,

Car s’il avait parlé comme il fait de la grâce,

De Rome il eût bientôt encouru la disgrâce.

Augustin ne s’est fait partisan de l’erreur

Que pour avoir été son zélé défenseur.

Sans perdre le respect que l’on doit à son âge

Ses écrits n’auraient pu subsister davantage.

 

Le confesseur

Eh bien, soit ! saint Paul et tous ses adhérents

Qui sous la peau d’agneau sont des loups ravissants.

Cependant l’Évangile en nous parlant de même

Dit que la pénitence est un second baptême,

Mais baptême pénible et baptême de pleurs.

 

Le pénitent

L’Évangile, il est vrai, prêche la pénitence,

Mais enfin le Saint-Père en donne la dispense.

Il sait s’accommoder, et au temps, et au lieu,

Et veut être pour nous garant auprès de Dieu.

Quesnel, tout hérissé de maximes austères

Voudrait qu’on nous traitât comme on traitait nos pères.

Quelle injustice ! aussi son ouvrage proscrit

Nous venge bien du mal qu’il voulait qu’on nous fît ;

Ouvrage fait exprès pour corrompre le monde

Qui distillant partout un poison suborneur

Des femmes et du peuple avait gagné le cœur.

C’est donc avec raison qu’à ce sexe fragile

Le pape a défendu de lire l’Évangile.

Quel abus en effet que des livres si saints

Se voient tous les jours en de profanes mains,

Et qu’au nez d’un mari qui professe l’usure

Sa femme à tout moment lui cite l’Évangile.

Pour moi qui ne suis pas du nombre des savants,

Je ne veux désormais lire que des romans.

Je ne me pique point de chanter à l’église.

Le Pape m’avertit que c’est une sottise.

J’y consens de grand cœur, mais j’aurais grand regret

S’il venait à blâmer le chant du cabaret.

Le dimanche, il vaut mieux fréquenter cette école

Que de lire Quesnel, Le Tourneur et Nicole.

J’ai toujours fait de même, et j’ai fait mon devoir.

Je suis depuis longtemps un saint sans le savoir.

Grâce à Sa Sainteté, je vis dans l’indolence

Et n’eus jamais le soin de faire pénitence.

Ainsi, vivons en paix, Monsieur mon confesseur.

Sinon, appel au pape et votre serviteur !

Pour peu que vous vouliez faire de résistance,

Je vous fais à l’instant signifier la sentence.

Numéro
$4558


Année
1713




Références

Clairambault, F.Fr.12695, p.439-42 - Maurepas, F.Fr.12627, p.303-05 et 387-90 - F.Fr.15019, f°31-33 - F.Fr.15159, f°2-3 -F.Fr.15146, p.481-86 -  BHVP, MS 551, p.107-09 - BHVP, MS 599, f°49r-49v - BHVP, MS 602, f°44r-45r - Lyon BM, MS 760, f°1


Notes

Dialogue ironique entre un confesseur janséniste et un pénitent heureux du laxisme jésuite