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Chanson pour le curé de Saint-Roch

Chanson pour le curé de Saint-Roch
Ministre trop zélé,
Si l’on pouvait trop l’être,
Vainement vous voulez
Toujours fermes paraître.
Saint Pierre était fidèle
Et saint Pierre pourtant
Mit en oubli son zèle
Dans le fatal instant.

Mais il n’est pas prédit,
Me direz-vous peut-être,
Qu’ainsi que Pierre fit
Nous trahissons le maître.
Raisonnement frivole :
Convenez avec moi
La dispute et l’école
Est non dogme de foi.

Votre brillant Brillon
Vous le fait bien connaître
Quand par occasion
Dans la Bulle il s’empêtre.
Chacun s’attend qu’en maître
Le point il règlera.
Il sort par la fenêtre,
Décide qui pourra.

Avec la même main,
Il vous ôte, il vous donne.
Son esprit quoique fin
S’embarrasse et tâtonne.
Il a trop de scrupule
Pour nier mordicus.
On sent qu’il capitule,
Que voulez-vous de plus ?

Aussi n’êtes-vous pas
Un peu trop rigoriste
De ne faire aucun cas,
Messieurs les jansénistes,
De tout ce que peut faire
Le malheureux pécheur ?
Si la chose était claire,
Ma foi, j’aurais grand peur.

Le curé plus humain
Dans mon âme abattue
Laisse un germe, un levain
De la grâce perdue.
Dans ce germe je trouve
Le don de l’oraison
Par laquelle je prouve
À tout péché pardon.

On ne résiste point,
Dites-vous, à la grâce.
Brillon fait sur ce point
Un tour de passe-passe.
Dira-t-on qu’il insiste
Contradictoirement
Quand il dit qu’on résiste,
Mais pas communément ?

Il soutient vaguement
D’après les Écritures
Qu’aux yeux du Tout-Puissant
Nos actes sont injures
Si l’on ne les rapporte
À ce divin auteur.
En parlant de la sorte,
On est exempt d’erreur.

Cependant, direz-vous,
Il interdit un prêtre
Dont les prônes sont tous
Tels qu’ils doivent tous être,
Disant que sa morale
Sur cette question
Répandrait du scandale
Dans sa religion.

Qui veut noyer son chien
Dit qu’il avait la gale.
Huart pense trop bien
Pour donner du scandale
Et le trou de l’aumône
Qui deviendrait péché
N’entrait point dans le prône
Qui lui fut reproché.

Forcer l’expression
Trop plein de sa matière
Est un crime, dit-on,
Quoique faute légère
Mais le prix d’une cure.
Telle que l’est Saint-Roch,
N’est pas taxé d’usure
S’il s’en tient à ce choc.

C’est à vous de trembler,
Messieurs les grands vicaires,
Ou cessez de parler,
Ou parlez peu d’affaires,
Car si de Jouy cabale
Pour être fait prélat
Il faut qu’il se signale
Par quelque coup d’éclat.

En vain vous espérez
Que la clameur publique
Fera taire un curé
Qui du parti se pique.
Sa fine politique
Se rira de vos coups
Qui de façon oblique
Retombera sur vous.

Et que peut contre lui
Sa paroisse fâchée
De se voir aujourd’hui
Différemment prêchée ?
Par sa dialectique
Il charme, il interdit,
Jamais il ne s’explique
On croit qu’il a bien dit.

Je crois même, je crois
Qu’il parviendrait à plaire
Et qu’il verrait ses droits
Tels qu’ils sont d’ordinaire
Si dans son presbytère,
Entretenant la paix,
L’équivoque matière
Ne se traitait jamais.

Mais, Messieurs, comme on dit
Chose promise est due ;
S’il ne vous convertit
Sa victoire est perdue ;
La cour a sa parole
Et croit qu’il la tiendra
Il sait jouer son rôle,
Il y réussira.

Numéro
$2955


Année
1738




Références

Clairambault, F.Fr.12808, p.163-65 - Maurepas, F.Fr.12635, p.85-90 - F.Fr.13662, f°140r-141r - F.Fr.15149, p.233-60 (manquent les deux derniers couplets) - F.Fr.15231, f°235 -  BHVP, MS 549, f°38r-41r - BHVP, MS 659, p.121-27