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La partie honteuse du siècle, au sujet du frère Bouettin

La partie honteuse du siècle. Au sujet du frère Bouettin
Nous touchons à ces temps de troubles et d’horreurs
Où la guerre civile étalant ses fureurs,
Français contre Français, et frères contre frères,
Les fils trempaient leurs mains dans le sein de leurs pères.
Contre les gens de bien l’Enfer est déchaîné.
Pour être bon chrétien l’on est persécuté ;
L’État est désolé, l’Église est ravagée ;
D’un schisme renaissant la France est menacée ;
Partout l’on voit régner un pichonisme1 outré ;
D’un côté l’athéisme avec l’impiété,
De l’autre le déisme à face découverte,
De la religion semble annoncer la perte.
Verrons-nous de nouveau nos rois assassinés,
Nos temples abattus, nos prélats dispersés,
Nos palais renversés, nos villes assiégées,
De graves magistrats, des troupes enchaînées
Conduites en prison par des hommes sans foi
Pour avoir demeuré fidèles à leur Roi !
Nous voyons désoler des provinces entières,
Nous avons des Séjans sans avoir des Tibères,
Un pasteur, le dirai-je, un pasteur dans Paris
Comme un loup ravissant dévore ses brebis
Pour convertir un saint faussement hérétique
Consent par charité d’être un vrai schismatique.
Ce curé peu chrétien, encore moins scrupuleux
Entretient et défend des dogmes captieux
Et prétend soutenir aux périls de l’Église
Une religion qu’il se forme à sa guise,
Abusant du pouvoir d’absoudre et condamner.
Il a les clés du Ciel, mais c’est pour le fermer.
Ce lion écumant de fureur et de rage,
Ajoute mal sur plaie, et l’insulte à l’outrage.
Père dénaturé, loin d’aimer ses enfants
Leur refuse à la mort les derniers sacrements.
Tyran de son église, il met tout en alarmes
Et sourd à la prière, insensible à ses larmes,
Ce cruel sanglier, ce cruel destructeur
Ravage sans pitié la vigne du Seigneur ;
En Enfer, dans ce lieu d’horreur et de supplices
Pourrait-on inventer de plus noires malices ?
Oui, dans ce feu vengeur des crimes des humains
Il est des Belzébuth, mais non des Bouettins.
Il faut pour mériter le sacré viatique
A la fatale Bulle adhésion publique ;
Et si vous hésitez sur cet article-là
Que par notre refus sa colère s’allume,
Il nous fait de son zèle éprouver l’amertume.
Aux défenseurs du vrai, s’il déclare la guerre,
C’est pour venger l’erreur abattue sous sa chaire.
Il ose impunément trahir la vérité.
Ah ! s’il existe un Dieu, qu’il lance le tonnerre,
Que d’un horrible schisme il délivre la terre.
Nos malheurs finiront, l’arrêt est prononcé.
Ce tyran va périr, le Seigneur l’a jugé,
Nos vœux sont exaucés, Dieu prend en main la foudre,
Ce monstre et son orgueil seront réduits en poudre.
Cet homme entreprenant, inquiet et pervers,
Enseigne à son troupeau les chemins des enfers.
S’il parle aux magistrats, s’il prêche dans le temple,
De la sédition il leur montre l’exemple.
Avec un front d’airain il ose impudemment
Contester en public les droits du Parlement.
Il ne rougira pas de taxer d’injustice
Cet auguste sénat, le destructeur du vice,
Défenseur de nos lois, de notre liberté,
Juste vengeur des rois et de leur majesté,
Qu’il aurait désiré de pouvoir se soustraire
Aux lois d’un tribunal que la France révère !
Par malheur son projet n’ayant pu réussir,
Il se fera passer pour illustre martyr.
Si l’on fait des martyrs sur de pareils modèles,
Il sera le patron, le grand saint des rebelles,
Car quiconque à son juge a manqué de respect,
A l’Église, à son prince est justement supect.
C’est là ce boutefeu dont les brusques saillies
Traitent les livres saints de fades rapsodies.
Ne semblerait-il pas que l’auteur des humains
Daignerait par sa bouche expliquer ses desseins !
Lui qui sait pénétrer le secret des mystères,
Expliquer l’Écriture, interpréter les Pères,
Il n’y trouvera pas ce zèle furieux,
Ce mensonge effronté, ce cœur séditieux ;
Il n’y trouvera pas qu’un pasteur ait l’audace
D’insulter à son juge et le braver en face.
Faudra-t-il pas encore, lâches, zélés flatteurs,
Respecter ses travers, dorer ses fureurs ?
De vils adulateurs la troupe fanatique
Célèbre en son honneur une fête publique,
Exigeant un trophée à ses égarements,
Lui prodiguant sans choix un criminel encens,
Consacrant par leurs vers ses fureurs, ses caprices,
Préconisant en lui le mensonge et les vices.
Qu’il soit récompensé, que ce vil mercenaire
Des maux qu’il a causés reçoive le salaire.

  • 1Le P. Pichon, jésuite

Numéro
$4662


Année
1752 avril




Références

F.Fr.10479, f°81-82 - F.Fr.15155, p.251-61 - Arsenal 2964, f°116r-117v - BHVP, MS 651, p.24-32