La Religion à l’assemblée du clergé de France tenu à Paris en 1762
La Religion
À l’assemblée du clergé de France
Tenu à Paris en 1762
Poème
La Religion descend du milieu de l’assemblée du clergé et dans son étonnement, dit :
Où suis-je, sont-ce là mes docteurs, mes prophètes,
De mes oracles saints les divins interprètes,
Les pasteurs d’Israël, les vengeurs de mes droits ?
Quels évêques, grand Dieu, que ceux que j’aperçois !
Hélas, sont-ils chrétiens ? L’est-on sans innocence ?
L’est-on sans charité, sans foi, sans pénitence ?
Prélats, on doit juger de l’arbre par ses fruits :
Les vôtres, de quel germe ont-ils été produits ?
Il n’est que deux amours, l’un, saint, qui justifie,
L’autre, impur et souillé, partage de l’impie.
Où prendre un juste ici qui, fidèle à ma loi,
M’aime, soit mort au monde et vivant de la foi ?
Dans vos mitres le fruit d’une intrigue profane
Vous portez sur vos fronts l’arrêt qui vous condamne
Sur vos trônes sacrés mes yeux cherchent en vain
Des prélats dans ce poste élevés par ma main.
On traînait autrefois les saints au rang suprême,
Aujourd’hui on y court, on s’appelle soi-même.
Où trouver un pasteur prévenu par mon choix
Qui de l’épiscopat ait redouté le poids
Et dont le premier pas ne soit point une chute ?
Par des vœux criminels à l’envi l’on débute
Un siège est-il vacant, que de regards sur lui !
La crosse, effroi des saints, est un don aujourd’hui ;
L’ambition conduit au pied des tabernacles,
La droite simonie écarte les obstacles.
Un bénéfice, au gré de l’avare prélat,
Ne peut d‘un si haut rang entretenir l’éclat.
Au lieu de cultiver le champ, on le ravage,
Au mépris de mes lois l’Eglise est au pillage
Dans le sacré bercail, infidèles pasteurs,
Guidés par l’intérêt vous n’entrez qu’en voleurs.
C’est du sang des brebis que vous êtes avides,
Sous leurs peaux vous cachez des projets homicides.
Vos trésors ne sont pas mes dons, mais vos larcins.
Evêques à vos yeux, aux miens vrais assassins.
Usurpateurs des rangs où je vous vois paraître,
Criminels, voulez-vous cesser enfin de l’être ?
Quittez ces ornements qui ne sont pas pour vous.
Sous l’habit des pasteurs, on reconnaît les loups.
Elevés par orgueil, descendez par justice,
Jamais grands à mes yeux que par ce sacrifice.
Mais vos sombres regards prouvent en ce moment
Que sous des chaînes d’or, on s’aveugle aisément.
Descendre vous paraît une faiblesse indigne ;
Ce serait, selon vous, abandonner ma vigne,
Sacrifier mes droits, tout perdre et me trahir,
Vous n’êtes ici que pour me secourir.
Hé bien ! qu’y faites-vous ? parlez, que dois-je croire ?
Réunis sous mes yeux, l’êtes-vous pour ma gloire ?
Pourquoi s’envelopper dans un profond secret ?
Ah ! si de vos desseins j’étais l’âme et l’objet,
Vous verrait-on du jour redoutant la lumière
Ne marcher qu’en tremblant sous l’ombre du mystère ?
Le triomphe du vrai peut-il être le fruit
De projets enfantés dans le sein de la nuit ?
Qui se cache est coupable. On se montre sans crainte
Quand, de la vertu seule, on présente l’empreinte.
On pense, en vous voyant chercher des souterrains,
Que l’homme ennemi veille et sème par vos mains.
Des anges de lumière on vous donne le titre.
Pourquoi donc placez-vous un masque sous la mitre ?
Si donc l’amour du vrai dirige vos pinceaux,
Travaillez au grand jour, ouvrez tous vos bureaux,
Prouvez que vous marchez sur les pas des apôtres.
Chrétiens pour vous, soyez évêques pour les autres.
Cessez de vous cacher. Qu’est-ce donc qu’un prélat
Qui n’est qu’un sel sans force, un flambeau sans éclat ?
D’un évêque apprenez l’alternative étrange :
C’est toujours à mes yeux un monstre, ou c’est un ange.
J’ai vu ce temps heureux qu’ici la piété
Portait dans votre état des fruits de sainteté.
Dignement appelés au divin ministère
Les pasteurs honoraient leur sacré caractère ;
Grands par l’humilité, riches, mais en vertus
(Hélas, jours florissants, qu’êtes-vous devenus ?)
ils pratiquaient mes lois, annonçaient mes oracles,
gagnaient par leur douceur, frappaient par des miracles ;
Ou jamais à la cour, ou toujours pénitents
Sans faste et respecté, évêques en tout temps.
A la voix de tels chefs, on marchait sur leurs traces.
On leur a succédé, mais remplit-on leurs places ?
Quels contrastes jamais plus dignes de mes pleurs ;
Ils n’aimaient que les croix, vous n’aimez que les fleurs.
Les faux biens, à leurs yeux, étaient de vils atomes
Aux vôtres ceux du ciel ne sont qu’un vain fantôme ;
Pères des indigents, ils faisaient des heureux,
Rivaux des fiers traitants, vous l’emportez sur eux ;
Tempérants, ils n’avaient qu’une table frugale,
Et la vôtre gémit du luxe qu’elle étale ;
Leur modeste vertu marchait, baissant les yeux,
L’éclat de votre orgueil forme un scandale affreux ;
Dans mon volume saint, dans les écrits des Pères
Ils puisaient nuit et jour d’abondantes lumières.
Quel prodige aujourd’hui qu’un évêque savant !
Pour vous, des livres saints l’étude est un tourment ;
Ils prêchaient, et l’exemple appuyait leurs maximes ;
Muets pour le salut, l’êtes-vous pour les crimes ?
Que vois-je dans vos mains ? Deux décrets pleins d’horreur
Que l’Enfer, contre moi, vomit dans ses fureurs,
Dont, dans Rome païenne, au pied d’un dieu de plâtre
Avec sa raison seule eût rougi l’idolâtre ;
Ouvrages ténébreux qui, renversant ma loi,
Bouleversent l’Eglise, insultent à sa foi ;
L’un, tissu monstrueux d’affreuses calomnies,
L’autre, germe fécond d’absurdités impies.
Couple impur, digne fruit d’un monstre décoré
D’un nom, par le Ciel même, en tremblant adoré.
Quel monstre ! c’est un homme existant en cent mille,
De tant de corps divers, seul et puissant mobile :
Qui, rival du Très-Haut, sans paraître est partout,
Embrasse l’univers de l’un à l’autre bout
N’occupe qu’un seul point et gouverne la terre,
N’a qu’une plume en main, et lance le tonnerre,
Traîne un vil vêtement et foule aux pieds les rois,
Maîtrise les esprits, et les corps, et les lois ;
Jaloux de mon triomphe, embelli de mes charmes,
Ce monstre contre moi tourne mes propres armes ;
Pour m’ôter la parole, il emprunte ma voix ;
Pour renverser mon trône, il prend en main la croix ;
Sa politique habile appelle l’ignorance,
S’empare adroitement des clefs de la science
En prêchant l’Evangile, en altère l’esprit,
En couronnant mon front, le souille et le flétrit,
Des saintes vérités empoisonne la source,
Aux plus noirs attentats s’enhardit dans sa course,
Proscrit toute vertu qu’il voit d’un œil jaloux,
Consacre toute horreur qui sert bien son courroux ;
D’un tas d’impiétés qu’avec art il exhale,
Infecte ma doctrine, inonde ma morale,
Rampe vers la grandeur par d’indignes détours,
Du poignard, du poison, achète le secours ;
Fait un devoir du crime, un jeu du sacrilège,
Change en théâtre un temple, en sodome un collège
Enfante et canonise un système cruel,
Qui, profane, ensanglante et le trône et l’autel,
Divinise le fruit d’un honteux fanatisme ;
Sur les débris de tout s’élève au despotisme.
Enfin par un concours d’incroyables forfaits,
Aux témoins étonnés fait douter s’ils sont vrais ;
Tel est ce monstre. Hé quoi ! ministres de mon culte,
Vous, organes du Ciel, que la terre consulte,
Chefs de mon sanctuaire, appuis de ma grandeur,
Qui portez sur vos fronts le sceau de ma faveur,
Malgré tant de bienfaits, au monstre qui m’outrage,
Ingrats, vous présentez un sacrilège hommage.
C’est votre idole. En vain tout parle contre lui.
Vous foulez tout au pieds pour lui servir d’appui.
Vous oubliez honneur, fidélité, prudence,
Dignité, bonne foi, serments, gloire, décence ;
Contents si mon rival accepte votre encens ;
Quel esprit de vertige enivre ainsi vos sens ?
Je pensais qu’éblouis par de vaines chimères,
Eblouis par l’éclat des vertus mensongères,
Vous preniez pour moi-même un rival odieux.
Insensés, qu’ai-je omis pour dessiller vos yeux ?
Du fond d’un sanctuaire où j’habite moi-même,
Où le nom de justice orne mon diadème,
Où, la balance en main, je pèse les mortels,
Espoir des innocents, effroi des criminels ;
Déjà j’ai fait partir mille voix redoutables,
De l’esprit qui m’anime oracles respectables,
L’univers étonné se réveille à ce bruit ;
Le monstre s’en émeut, la France en retentit,
La main de ma justice ôte aux yeux de l’Europe
Le voile dont le monstre avec art s’enveloppe
Quel changement subit ! l’imposteur dépouillé
Laisse voir mille horreurs dont son sein est souillé.
Usures, meurtres, vols, calomnies, homicides,
Parjure, sacrilège, infâme régicide ;
Quel amas de noirceurs sous des dehors brillants
D'illusion, prélats, cesse enfin ; il est temps,
Parlez ! que pensez-vous du rival que j’abhorre ?
Le monde est décidé ; balancez-vous encore ?
Le masque est arraché ; les faits sont évidents.
Qu’entends-je ? confondus par des traits si frappants,
Sourds aux ris de l’honneur, au cri de la justice
N’apposant aux raisons qu’un aveugle caprice
Respectons, dites-vous, un corps si glorieux,
Nécessaire à l’Eglise, à l’Etat précieux.
Quel langage dans vous, est-ce fureur, folie,
Ivresse, aveuglement, faux honneur, frénésie ?
Quel bien tire l’Etat d’un amas de brigands,
Usurpateurs hardis, dangereux intrigants ;
D’un despote étranger, adorateurs serviles,
Des légitimes rois contempteurs indociles,
Sujets pour profiter des droits des citoyens,
Etrangers, s’il s’agit d’en briser les liens ;
Ne prenant dans l’Etat aucune consistance
Pour éluder des lois la sévère ordonnance ;
Espions abusant du sceau le plus sacré,
Si l’honneur de leur secte y gagne un seul degré.
Avides pour le gain, sans foi dans le commerce,
Vindicatifs cruels, sitôt qu’on les traverse ;
Soufflant partout le feu de la division,
Immolant tout au gré de leur ambition ;
D’un air de piété colorant leur vengeance,
Modestes par orgueil, traîtres par conscience,
Faux, parjures, ingrats, violant tous les droits,
Dépouillant les sujets, assassinant les rois,
Portant le fer, la mort, ou des entraves
Partout où leur orgueil ne veut que des esclaves,
Fanatiques, ligueurs, fourbes, séditieux,
Sont-ce là des sujets à l’Etat si précieux ?
Le sont-ils à l’Eglise où leur funeste rage
Depuis deux siècles souffle un feu qui la ravage.
N’est-ce pas sous leurs coups que je vois tous les ans,
Ou tomber mes autels, ou périr mes enfants ?
J’aimais un institut1
ils l’ont frappé du foudre ;
J’avais un saint asile2
ils l’ont réduit en poudre
Je régnais en Sorbonne, on y suivait mes lois,
L’erreur m’attaquait-elle, on y vengeait mes droits.
Ces furieux armés d’une insolente audace,
M’ont chassée et j’y vois un squelette à ma place.
Au sacré tribunal, des guides éclairés
Ramenaient sous mes lois les troupeaux égarés
De mes rivaux jaloux, je vois la troupe indigne,
S’emparer de mes clefs et détruire ma vigne.
J’avais pour m’annoncer des interprètes saints
Je ne vois, j’en rougis qu’orgueilleux baladins,
Qui d’un style profane énervant mes maximes,
Souillant mes vérités, embellissent leurs crimes.
Sous des sages leçons je voyais autrefois
Les dociles enfants se former à ma voix ;
De profanes mentors, l’impudique cabale
Ne leur ouvre aujourd’hui qu’une école fatale,
Où leurs cœurs ne puisant que l’amour des plaisirs,
Ne prennent désormais pour lois que leurs désirs.
Le clergé dans Paris formé sous mes auspices
Ornait mon sanctuaire et faisait mes délices.
Quel spectacle aujourd’hui : des prêtres séducteurs
De mes mystères saints hardis profanateurs
Se jouant de l’autel, troupe vile et vénale,
D’un peuple corrompu l’opprobre et le scandale !
Pour comble de malheur, dans ces jours je ne vois
Qu’une funeste ardeur pour ébranler ma foi
Ivre d’un vain orgueil, bravant jusqu’au tonnerre,
Le déisme usurpant l’empire de la terre,
Vante de la raison le triomphe éclatant
Et ne jette sur moi qu’un regard insultant.
Affreux renversement, triste métamorphose !
Prélats, ouvrez les yeux vous en verrez la cause.
Depuis le jour cruel que le monstre fatal
Fit éclore à Lisbonne un système infernal
Et que des bords du Tage aux rives de la Seine,
L’insolent molinisme osa traîner sa chaîne,
De ce malheureux jour, je date mes malheurs,
Et ne fait qu’arroser mes fêtes de mes pleurs.
A ma douleur extrême où trouver un remède ?
Témoins indifférents du malheur qui m’excède,
On ne vous voit d’ardeur que pour en triompher ;
Vous irritez un feu qu’on est près d’étouffer.
Comment justifier cette horrible conduite ?
Peut-être est-ce faiblesse et la secte hypocrite
Dans sa chute annonçant de plus puissants efforts,
Vous prévoyez sa haine et craignez ses transports.
Lâches, ces sentiments seraient-ils donc les vôtres ?
Etes-vous pour tromper successeurs des apôtres ?
Evêques, apprenez votre premier devoir,
C’est d’inspirer la crainte et de n’en point avoir ;
Défenseurs de la foi, chefs du christianisme,
En traits de feu marqués au coin de l’héroïsme,
Grands au sein de la paix, plus grands dans les combats,
Vous devez sans pâlir braver jusqu’au trépas.
Que l’hydre se relève, hé bien ! c’est votre gloire.
Pouvez-vous sans combats mériter la victoire ?
L’honneur de votre rang, tant de fois avili,
Demande un tel retour, pour se voir rétabli.
Mais quelle est votre erreur, sur l’impuissante secte
Est-ce au lion superbe à fuir devant l’insecte ?
Que vous connaissez peu votre prix et le sien
Faible, même avec vous, sans vous elle n’est rien :
Son sort, dans ce moment, dépend d’une parole.
Parlez, et le néant engloutit votre idole.
Vous tremblez ? Hé, voyez, un simple sénateur,
Quel opprobre pour vous devient mon défenseur.
Attentif sur le monstre, il l’approche, il l’attaque ;
Il démasque le fourbe, en trouve le cloaque ;
Qu’un des plus noirs poisons s’élève la vapeur
Qui doit de mon empire avancer le malheur,
A l’aspect du danger qui menace mon trône
Le vigilant sénat d’un saint effroi frissonne
Il prend le fer vengeur et du colosse affreux
Dissèque prudemment les membres venimeux.
Il vole à mon secours ; c’est aux dieux de la terre
[expression qui a dû bien flatter le parlement]
Au défaut des prélats de s’armer du tonnerre,
Frappé d’un coup mortel le monstre chancelant,
Prélats, à son secours vous appelle en tombant.
Quoi ! vous le redoutez, tandis qu’il vous implore ?
Ciel ! quelle honte ! allez, vils prévaricateurs,
Du colosse expirant mendier les faveurs.
Que vous méritez bien, ambitieux esclaves,
De traîner sans rougir de si nobles entraves !
Mes chaînes à vos yeux ne sont que d’un vil prix
Je prêche des faux biens un généreux mépris,
L’humilité, la foi, des mœurs, la tempérance,
L’esprit de pauvreté, des fruits de pénitence,
Ce sont là mes liens ; ils vous sont en horreur.
Hé bien ! de vos penchants suivez l’attrait flatteur.
Foulez aux pieds la foi, vivez dans la mollesse,
Que les plaisirs chez vous se succèdent sans cesse.
Que votre faste étonne, et l’Eglise et l’Etat.
Rivaux des grands du monde, effacez leur éclat.
Au sein d’un doux loisir coulez des jours paisibles.
C’est là qu’est ma vengeance, o menaces terribles !
Mais un esprit d’ivresse en dérobe le sens.
Sourds aux cris de l’honneur, soyez-le à mes accents (sic)
Ayez des yeux sans voir, écoutez sans entendre,
Vous dédaignez mes biens, j’ai droit de les reprendre.
C’en est fait, désormais, vous vivrez sans remords,
Je retire mes dons, mon esprit, mes trésors.
Je ne laisse chez vous qu’un fantôme frivole,
Ouvrage séducteur de votre vaine idole,
Propre à précipiter par un semblable sort
Les pasteurs, les troupeaux, dans le puits de la mort.
Je laisse un beau dehors, mais ce n’est qu’une écorce,
Un ministère saint, mais stérile et sans force.
Quelques élus, mais peu, germe heureux et fécond,
Mon espoir… Ah ! ce mot vous cache un sens profond.
Sous un bandeau d’acier, votre âme est aveuglée :
De vos crimes enfin la mesure est comblée.
Votre arrêt s’exécute, insensibles prélats,
Vous l’avez sous les yeux… et vous ne tremblez pas.
BM Marseille, MS 532, f°140-148