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Le jansénisme de l’abbesse de Chelles

Le jansénisme de l’abbesse de Chelles1
Je suis prophète, jeune Iris,
Mon nouveau jansénisme
Va gagner la cour et Paris ;
C’est fait du molinisme :
Les docteurs à vos agréments
Ne peuvent pas répondre,
Et vos yeux sont des arguments
Qui savent tout confondre2 .

N’allez pas, comme avec Quesnel
En use le Saint-Père,
Me faire un procès criminel.
Je crains votre colère,
Pour mes tendres réflexions.
Quelle heureuse fortune
Si de cent propositions
Vous en acceptiez une !

Je vois en vous de Port-Royal
Ressusciter l’élite ;
Vous avez l’esprit de Pascal
Et d’Arnauld le mérite3 .
On peut exalter vos attraits
Sans craindre l’hyperbole,
Et j’estime plus vos essais
Que ceux du grand Nicole.

Que dans vos yeux janséniens,
Je trouve fortes armes,
Que la bulle Unigenitus
Tient peu contre vos charmes !
Pour vous plaire, Iris, de bon cœur
Je me fais janséniste.
Mais ayez pour moi la douceur
D’une âme moliniste

Je vois l’amour armé de traits
Qui vous suit à la trace,
De votre air vif, brillant et frais,
La grâce est efficace,
Je soutiendrai ce dogme-là,
Et ma thèse est publique,
Quand on devrait chez Loyola
M’appeler hérétique.

Je défendrai vos doux appas
En docteur de Cythère,
Contre eux on ne me fera pas
Signer le Formulaire.
Si par malheur votre courroux
Me condamne ou m’exile,
Je n’en appellerai qu’à vous,
Non au futur concile.

 

Croyez-moi, fuyez les amants4
Qui sont d’une autre secte ;
Ne lisez point leurs mandements,
Leur doctrine est suspecte.
Quant à moi, je ne croirai rien
Sous votre aimable empire
Si notre agréable entretien
A mon cœur ne l’inspire.

Puisse longtemps votre beauté
Exiger notre hommage.
C’est ici de la vérité
Le plus sûr témoignage.
Ciel, remplis mes désirs ardents :
Je veux avec éloge
Voir l’aimable Iris dans cent ans
Chômée au Nécrologe.

  • 1Autre titre: Chanson faite pour Mme l'abbesse de Chelles (Clairambault) -  - « Il s’est répandu une lettre de Mme d’Orléans, abbesse de Chelles, où elle a fait une profession de foi très janséniste, et on ne sait quel moine lui a mis cela dans la tête. Par arrêt du conseil du 28 avril, cet écrit a été supprimé. L’arrêt porte que ce ne peut être l’ouvrage de cette princesse parce que l’auteur, peu instruit des titres qui appartiennent aux princesses de son rang, lui donne celui d’Altesse royale au lieu d’Altesse sérénissime qui, seul, convient à sa naissance. Il est dit encore que cet écrit est rempli d’erreurs, que l’Église a condamnées depuis longtemps, et d’expressions contraires à l’esprit de soumission que l’état monastique qu’elle a embrassé l’oblige à garder plus indispensablement. » (Mémoires de Marais.) (R)
  • 2 Cette pièce facétieuse est « une déclaration d’amour d’un dévot Janséniste à Mme de Chelles. » (M.) (R)
  • 3« Devenue habile janséniste par les soins du bénédictin, son directeur, elle voulut être savante dans les Écritures, et en extraire les passages qui lui paraissaient favorables à ses sentiments. Deux secrétaires choisissaient ces passages, et elle y ajoutait ses réflexions. » (Mémoires de Richelieu.) (R)
  • 4Les deux dernières strophes ne figurent que dans Arsenal 2937.

Numéro
$0594


Année
1725




Références

Raunié, V,37-39 - Clairambault, F.Fr.12699, p.377-78 -Maurepas, F.Fr.12631, p.375-77 -  F.Fr.15020, f°1129 - Arsenal 2962, p.180-82 - Arsenal 3132, p.659-61 - Glaneur historique, 11 octobre 1731