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La Porte murée

La porte murée1
Le garde des Sceaux a dit :
Je ne crains point la Sorbonne2 ;
Quand le Régent me l'ordonne
Je fais valoir mon crédit ;
Qu'on m'apporte le registre,
Petitpied sera biffé3 .
Ce disant d'un œil sinistre,
Le feuillet fut effacé.

Puis d'un regard adouci
Il court à la Madeleine.
Villemont est son Hélène,
Elle en fait son beau Pâris.
Et par une fausse porte
Entrant, ressortant souvent,
Là sa finance il transporte,
Et couche dans le couvent4 .

Content d'un si beau succès,
Il dormait en assurance,
Alors que Son Éminence
Sans forme d'aucun procès
Va visiter la nonnette
Et fait venir un maçon ;
La chose fut bientôt faite,
La porte devint cloison.

Hé ! quoi ! métamorphoser,
Dit Villemont en colère,
Une porte nécessaire !
Cardinal, c'est trop oser ;
Je devrais dans l'occurrence,
D'une lettre de cachet,
D'une telle impertinence
Vous faire éprouver l'effet.

La  métamorphose, hélas !
Au retour valut matine.
Le ministre n'en fit mine,
Mais fit tout jeter à bas.
Et malgré Son Éminence,
Contre droit, règle et raison
Par cette porte, en silence,
Il console Villemont.

  • 1Autre titre: Sur M. d’Argenson, garde des Sceaux, et Mme de Villemont, abbesse de la Madeleine
  • 2« M. le garde des sceaux envoya quérir les principaux de la Sorbonne, et, quand ils furent entrés, il leur dit de lui apporter leurs registres, et, dès qu’ils furent arrivés, il fit entrer les cinq secrétaires d’État qui étaient déjà chez lui, mais dans une autre chambre. Il trouva plusieurs choses dans les registres de la Sorbonne qu’il raya, et leur fit de grandes réprimandes sur différentes choses et sur des propositions qu’ils avaient avancées et dont le pape aurait eu grand sujet de se plaindre. » (Journal de Dangeau, 8 juillet.) (R)
  • 3Petitpied, docteur en Sorbonne, l’un des opposants à la Constitution avait, été exilé par lettre de cachet à Issoudun La lettre de cachet fut enregistrée par d’Argenson le 8 juillet, avec la déclaration du roi qui suspendait tous les écrits relatifs à la bulle. (R)
  • 4C’est ce qu’affirment tous les témoignages contemporains. Les Mémoires de Richelieu, entre autres, tracent un tableau fort réaliste des soirées du garde des sceaux au couvent du Traisnel. (R)

Numéro
$0343


Année
1719




Références

Raunié, III,141-43 -Clairambault, F.Fr.12697, p.223-25 - Maurepas, F.Fr.12630, p.35-37 - Arsenal 2961, p.534-36 - Arsenal 3132, p.414-416 - Barbier, I, 42