Epître d’un constitutionnaire aux évêques de France
Épître d’un constitutionnaire aux évêques de France
Ciel ! tout est perdu : nos hardis magistrats
L’emportent, j’en frémis, sur nos humbles prélats.
La Bulle, cette loi si sainte, si divine
Déjà perd son crédit et tend à sa ruine.
Enfants de Loyola, quelle est votre langueur ?
Pour la cause du Ciel vous êtes sans vigueur !
Vous qu’on voyait jadis pleins d’un zèle héroïque
Épuiser tout, trésors, intrigues, politique
Pour fournir au Décret le plus solide appui,
À présent peu jaloux de faire un pas pour lui,
Spectateurs des affronts faits à la sainte Bulle,
Dans le sein du repos vous dormez sans scrupule !
Cet ouvrage si beau, construit à si grands frais,
Vous le sacrifiez à l’amour de la paix ;
Et vous, de notre foi sacrés dépositaires,
Vous, chargés par le Ciel du soin de nos mystères,
On attaque aujourd’hui le plus profond de tous,
La Bulle. Pour agir, Prélats, qu’attendez-vous ?
Rappelez-vous du temps que, bornant votre zèle
Au triomphe important de cette loi nouvelle,
D’un vif enthousiasme animés à la foi,
Vous faisiez pour sa gloire entendre mille voix.
De mandements nombreux vous inondiez la France,
Vous prêchiez à l’envi l’aveugle obéissance.
La foi sans cette Bulle était en grand péril.
Interdits rigoureux, noir cachot, long exil,
Tout vous paraissait doux pour punir le rebelle ;
On connaît à ces traits un véritable zèle.
Aussi dans ces beaux jours quels furent vos succès !
Du Décret triomphant quels rapides progrès !
Tout plie, et la victoire allait être complète,
Quand parmi les vaincus honteux de leur défaite
Votre œil perçant découvre un vil tas d’imposteurs,
Qui ne font que semblant d’applaudir aux vainqueurs.
En secret attachés au parti qu’ils trahissent,
Ils signent en secret la Bulle qu’ils maudissent.
La crainte qui les fait souscrire lâchement,
Seule conduit leur main et le cœur la dément.
L’amour-propre est leur dieu, l’intérêt leur mobile.
Dévots dont l’air bénin sourit à l’Évangile,
Mais qui par d’heureux tours, chrétiens sous le turban,
Comme loi du plus fort signeraient l’Alcoran.
Cœurs doubles, esprits faux, odieux hypocrites
Qui, la Bulle à la main, ennemis des Jésuites
Se couvrent du Décret pour mieux en imposer
Et ne rampent sous lui que pour le renverser.
Quelle foule en effet d’acceptants Jansénistes !
Soumis en apparence, au dedans quesnelistes,
Qui disent anathème à leur chef si chéri,
Et lisent à genoux son livre favori ;
Vils Oratoriens, ambigus personnages,
Bénédictins trompeurs qui masquent leurs visages
Qui, devant le Prélat, disent : nous acceptons,
Et dans le fond du cœur disent : nous appelons.
Sans peine pénétrant cet odieux mystère,
C’est sur eux que Beaum… jette un œil de colère.
Oui, ce sont là, dit-il, nos plus grands ennemis,
D’autant plus dangereux qu’ils paraissent soumis.
Appelants déguisés, par de sourdes intrigues
Contre nous en secret ils fomentent des brigues,
Et savent opposer en s’armant contre tous,
Leur manœuvre à la Bulle et la Bulle à nos coups.
Oui, c’est sous ton abri, lâche tolérantisme,
Que se soutient encor l’odieux Jansénisme ;
Ta chute entraînera la sienne, et désormais
C’en est fait ; c’est sur toi que vont tomber mes traits.
Il dit, pour démêler dans la foule acceptante
Les protecteurs cachés de la secte expirante,
Que fait ce grand prélat ? (O France, dans Beaum…
Admire les ressorts d’un esprit si fécond.)
Du fond de son palais (quel heureux stratagème !)
Beaum… manifestant sa volonté suprême
Ordonne (du Prélat tel est le bon plaisir)
Que chaque tolérant, fidèle à se trahir,
Lui dise en un billet, objet de ses recherches :
C’est moi, sage Prélat, oui, c’est moi que tu cherches.
L’ordre part, c’en est fait si le coup réussit,
L’appel est confondu, l’erreur s’évanouit.
Déjà des tolérants la cabale tremblante
S’alarme, et chez les siens va semer l’épouvante.
Le refus du billet, grand crime, au seul aspect,
Attire un anathème au moribond suspect.
L’accorder ! tout s’écroule et la cause succombe
Des Quesnels clandestins alors le masque tombe
Et Beaum… découvrant tous ceux qu’il doit frapper
Va, le tonnerre en main, fondre et tout dissiper.
Quand, du fond du barreau, suivi de la chicane
S’avance avec lenteur un cortège profane,
Grave dans son maintien, la règle et le compas
Semblent toiser ses mots et mesurer ses pas.
Un air de majesté brille sur les visages.
Qu’aurait dit Cineas à l’aspect de ses sages,
Dont le corps inspirant le respect, la terreur,
Sous l’éclat de la pourpre offre tant de grandeur ?
Mais au-dedans qu’est-il ? lui doit-on des louanges ?
Hé, que sait-on ? l’erreur a séduit jusqu’aux anges.
Ministres de Thémis, augustes magistrats,
La balance à la main, où portez-vous vos pas ?
Dans vos yeux étincelle une ardeur téméraire.
Arrêtez, ce chemin conduit au sanctuaire.
« On le sait, dites-vous, nous connaissons nos droits.
L’Église est dans l’État, et l’État a ses lois ?
Pouvons-nous sans trahir les lois de la patrie
De la maison de Dieu permettre l’incendie ?
Thémis sur l’encensoir ne porte point ses droits.
Mais, s’il met tout en feu, doit-elle être sans voix ?
La crosse a son district. Celui de la balance
Embrassant tout état, est sans borne en France.
Quiconque du public ose troubler la paix,
Au pied de notre Cour est cité sans délai.
Dans l’état le plus sain, loin d’être irréprochable
Aurait-on le droit d’être impunément coupable ?
Et bravant la rigueur de notre tribunal
L’orgueil d’une tonsure enhardirait au mal ?
Non, comme pour l’État les lois sont pour l’Église,
La mitre à notre glaive en tout temps fut soumise
Des prélats, à la fois sujets et souverains,
Nous leur baisons les pieds et leur lions les mains.
Abusant aujourd’hui des billets qu’ils exigent,
Ivres d’un fol espoir, en tyrans ils s’érigent.
Des mystères sacrés simples dispensateurs,
Pourquoi dont osent-ils, hardis usurpateurs
D’un bien commun à tous s’emparer par caprice,
N’en jamais disposer qu’au gré de leur malice,
Sur les présents du Ciel imposer des tributs,
Flétrir des citoyens par d’injustes refus,
Persécuter des saints, tyranniser des prêtres,
Les chefs du sanctuaire en sont-ils donc les maîtres ?
Quel trouble dans la foi, que d’horreurs dans l’État !
Si nul frein ne contient l’ambitieux prélat,
C’est à nous d’arrêter l’absurde fanatisme
D’un zèle qui paraît viser au despotisme.
Toujours sage, la loi dans le Français chrétien
Apprend à distinguer le Français citoyen.
Qu’à la voix du pasteur l’un soit toujours docile,
L’autre, à l’abri des lois doit trouver un asile
Et pour jouir d’un bien qui paraît être à lui,
Il ne doit pas en vain réclamer notre appui. »
Telles sont du Barreau les maximes hardies,
On dirait sur le vrai qu’elles sont établies,
Et l’équité paraît leur prêter ses couleurs.
Gardez-vous d’écouter ces discours séducteurs.
Prélats, Rome a parlé, de Rome rien n’émane
Que de saint ; du Palais rien qui ne soit profane.
Une Bulle acceptée est un oracle sûr.
Tout ce qui la combat n’est qu’un sophisme impur,
Du rusé novateur artifice frivole.
Mais que vois-je ? grand maître en l’art de la parole,
Maupeou, contre la Bulle ardent, on sait pourquoi,
Vole au Trône et contr’elle ose animer son Roi.
Là, voilant avec art ses projets sacrilèges.
« Prince, à ta piété, dit-il, on tend des pièges.
Cette Bulle qu’on dit décider sur la foi,
N’en règle aucun article et n’est point une loi.
Que dis-je ? Elle perd tout, source d’un mal extrême ;
Et pour la condamner, je ne veux qu’elle-même ;
Qu’on la lise, un coup d’œil est contr’elle un arrêt.
L’erreur de son poison en souille chaque trait.
Peu content de flétrir toute vérité sainte,
À tes droits, à nos lois ce décret donne atteinte,
Il triomphe, déjà le mal est violent,
Et jusqu’au Trône enfin tout devient chancelant.
De la religion ces Ministres avides,
Toujours hommes, souvent sont d’infidèles guides.
Chefs d’une Église sainte, ils n’en sont pas plus saints.
Souvent l’ambition enfante leurs desseins.
Pleins d’ardeur au dehors contre un faux Jansénisme
Ils n’en sont dans le fond que pour le despotisme.
Et quand du tabernacle on a les clefs en main,
On peut en abuser contre son souverain.
Un faux zèle nous rend saintement fanatiques,
Si nous sommes en place, il nous rend tyranniques ;
Et bientôt un tyran dont le front est mitré
N’offre à l’œil ébloui qu’un souverain sacré
Dont l’orgueil, maîtrisant un peuple trop crédule,
Lui ferait respecter la plus honteuse Bulle.
Quel est de nos Prélats, Sire, le vrai projet ?
Se rendre indépendants, voilà leur grand objet.
Aux caprices divers d’une vaine arrogance,
Pouvant du sanctuaire asservir la balance,
Ils auront dans la Bulle érigée en devoir,
Un moyen d’usurper le souverain pouvoir,
Le sujet à son Roi, si le Prélat l’ordonne,
Devra par conscience arracher la couronne.
D’un injuste interdit menace-t-on quelqu’un
Tout devoir à ses yeux cesse alors d’en être un.
Et t’obéir, grand Roi, devoir si légitime,
Si Rome le défend, dès lors devient un crime.
Jugez donc, par ces traits, d’une règle de foi
Qui conduit le poignard dans le sein de son Roi.
L’Évangile, il est vrai, tient un autre langage.
Aussi la Bulle a soin d’en défendre l’usage.
Et surtout en français, ce livre ne vaut rien.
La Bulle désormais est le lait du chrétien. »
C’est ainsi que Maupeou distille avec prudence
Les craintes, les soupçons, la noire défiance.
Louis, plein de bonté, l’écoute ; il craint l’erreur ;
Il veut la paix. Qu’un Roi doit souffrir dans son cœur,
S’il voit à chaque pas des embûches à craindre !
Plus il aime le vrai, plus il paraît à plaindre.
Aux lois, à ses sujets, à la religion,
Louis, père commun, doit sa protection.
Que va-t-il décider ? l’amour de la justice
Le rend aux deux partis également propice.
Sa piété suspend l’activité des lois.
Son zèle pour Thémis en ranime la voix.
Il balance… Prélats, voici l’instant critique
Qu’il faudrait de Louis fixer la politique.
Quittez donc vos troupeaux. Pasteurs, c’est à Paris
Que la religion vous demande à grands cris.
N’ayez point de scrupule : allez, pour sa défense,
Le Ciel à vos grandeurs défend la résidence.
Boy… de notre foi l’interprète aujourd’hui,
Ce Docteur de l’Église et son plus ferme appui,
Boyer la Feuille en main, il vous attend au Louvre,
Et pour vous recevoir son antichambre s’ouvre.
Dociles à sa voix, vous accourez enfin
Apprendre vos devoirs du sage Théatin.
Pontife des Français, toi qu’un rare mérite
À fait du rang obscur de simple cénobite
Passer au pied d’un trône, où tes mains à ton gré
Balancent les destins de l’empire sacré.
Boy… il en est temps, de ton vaste génie
Hâte-toi d’employer la puissante industrie.
Âme d’un corps immense, anime ses ressorts.
L’Église a dans tes mains la clef de ses trésors.
Répands-les pour la Bulle. Aux plus froids dans ta place
On peut en sa faveur inspirer de l’audace.
Ne fais rien que pour elle, on fera tout pour toi,
La science n’est rien : donne tout à la foi.
Des évêques fameux Saint-Sulpice est l’école.
Que des prélats naissants la Bulle y soit l’idole.
Quels transports dans leurs cœurs, quel feu dans leurs esprits,
Du zèle le plus vif si la mitre est le prix !
Tout seconde mes vœux : une céleste flamme
Se répand dans Boy… et transporte son âme.
Jour et nuit occupé du Décret important,
Son zèle à l’exalter consacre chaque instant.
Les prélats affaiblis, d’un mot il les ranime,
D’un regard il inspire une ardeur magnanime,
Profond dans les détails, il voit mille beautés
Où l’œil le plus perçant ne voit qu’obscurités.
La Bulle est à ses yeux un chef-d’œuvre, il l’adore ;
Et Quesnel est pour lui la boîte de Pandore.
Il met tout en usage, adresse, activité,
Promesses, coups d’éclat, faveur, autorité.
Sous ses yeux par son ordre, on s’assemble, on travaille,
On compose à Paris, on s’intrigue à Versailles,
Le Jésuite, alarmé pour la foi qui s’éteint,
Contre les parlements s’anime et les dépeint
Frondeurs, Ligueurs, Anglais et Jansénistes même ;
Développe en traits noirs leur funeste système.
Beaum… pour seconder de si nobles efforts,
De ses puissants billets fait agir les ressorts.
Les beaux jours de l’Église allaient renaître en France.
Mais quel affreux revers trompe mon espérance !
Trop éloquent Maupeou, tu triomphes, ton Roi
Donne enfin un Édit ; mais quelle étrange loi !
Au type de Constant on voit qu’elle ressemble.
La vérité pâlit ; le sanctuaire en tremble.
La Bulle ; ce trésor qui depuis quarante ans
Rend l’Église et l’État riches et florissants ;
Elle, qui nous formait tant de prélats célèbres,
Va donc, par cette Loi, tomber dans les ténèbres.
Louis, las d’un Décret dont il craint les abus,
Pour ramener la paix, veut qu’on n’en parle plus.
Sur l’oracle de Rome, il impose silence,
Si l’on n’en parle plus, que faut-il qu’on en pense ?
Ah ! grand Roi, qu’as-tu fait ? À ta religion
Ton amour pour la paix peut faire illusion.
Tu veux dans tes États que, jadis inconnue,
La Bulle soit pour nous comme non avenue,
C’est exiger, grand Roi, qu’on la compte pour rien.
C’est dire : elle ne peut faire éclore aucun bien.
Que de bien cependant la Bulle nous procure !
Une doctrine saine, une morale pure,
Ce clergé si savant, ces docteurs éclairés,
Ce saint empressement pour les livres sacrés,
Chez les Bérulliens ce coup d’œil qui nous charme,
Chez les Genovéfains la secte qui s’alarme,
Tant d’apôtres nouveaux dans ces sages pasteurs,
Des anciens en tout zélés imitateurs,
De tant d’heureux objets le charmant assemblage
De la Bulle, on le sait, est l’admirable ouvrage.
Et Louis aujourd’hui nous défend d’en parler !
Sur cet ordre, Prélats, devez-vous reculer ?
Faut-il donc en tout temps respecter les puissances ?
Louis, maître des cœurs, l’est-il des consciences ?
Non, Beaum… sur la sienne ardent à se régler,
Dès qu’il entend sa voix, sait bien qu’il doit parler.
Il parle, des Prélats rien n’arrête l’Alcide ;
Et pour mieux découvrir le novateur timide
Que couvre le manteau du tolérant trompeur.
Sous celui de la Bulle il cherche l’imposteur.
Au zèle il joint la ruse, ingénieux apôtre,
Par le canal de l’un, il veut aller à l’autre.
Mais le vil tolérant, faussement converti,
Transfuge sans honneur, sans honte travesti,
S’enveloppe avec art, s’échappe avec adresse,
Le mourant à son tour, fidèle à sa promesse,
Le dérobe au Prélat qui saintement frémit,
Et sur le seul soupçon lance un sage interdit.
Mais que vois-je ? à la cour ce zèle magnanime
Au pied du trône est peint sus les couleurs du crime.
Beaum… que fait agir l’intérêt de la foi,
Trop soumis à son Dieu, l’est trop peu pour son Roi.
Qu’entends-je ? A quel parti Louis peut se résoudre ?
Les cèdres du Liban sont frappés de la foudre.
Beaum… qui par respect pour nos mystères saints
En priva constamment les indignes Coffins,
Et pour mieux enhardir les prélats de province
Les refusa lui-même au premier de nos princes.
Beaum… qui dans Saint-Leu fit des exploits si beaux,
Beaum… si nécessaire aux soins des hôpitaux,
De la sage Moysan ce défenseur fidèle,
Pour ces chères brebis ce pasteur plein de zèle,
Lui qui craint la louange au point qu’un compliment
Attire un interdit à l’auteur imprudent ;
Ce modeste censeur du loyoliste habile,
Qui sut, nouveau Scarron, travestir l’Évangile,
L’Ambroise de nos jour, victime de la foi,
Beaum part pour Conflans, exilé par son Roi.
Qui le croirait ? Il part, mais grand dans sa disgrâce,
(Sans peine on le croira) plein d’une noble audace,
Jusque dans les revers il montre un front serein
Et sait, même en exil, agir en souverain.
Il y tient table ouverte, il promet, il menace,
Il frappe, il interdit, il dérange, il déplace ;
Reculer à ses yeux n’est jamais à propos.
Le vrai zèle pour Dieu forme les vrais héros.
Vous, dans l’épiscopat, ses collègues si dignes,
Plus grands par vos vertus que par vos rangs insignes,
Témoins d’un si beau sort, le serez-vous en vain ?
Non, Laval, jeune encor, mais plein d’un feu divin
Qui par un beau talent dont jamais il n’abuse,
De nos dogmes sacrés a la science infuse ;
Attentif sur Beaumont, l’intrépide Laval
Pour agir vivement n’attend que le signal.
On le donne, il s’avance ; et contre un tas de filles,
Organes de l’erreur, dangereuses sibylles,
Des grands Monmorency l’illustre rejeton,
Va de l’Hydre cloîtrée affronter le poison.
L’effet sans le succès prouve au moins la vaillance.
De là, contre un mourant fièrement il s’élance.
Un docteur aux abois irrite son courroux.
Chargé d’ans et de maux l’inflexible Coignoux
De l’antique Sorbonne est un malheureux reste.
Laval voyant dans lui le progrès de la peste,
Prudemment se retire, et le tendre prélat
À l’obstiné pécheur épargne un attentat.
De ses exploits divers quelle est la récompense ?
On exile Laval ! Y pense-t-on ? La France
Va donc passer bientôt sous le joug de l’erreur.
Déjà dans le clergé l’on sème la terreur.
Quel feu dans tout Paris ! contre la Bulle même
L’anonyme écrivain plus hardiment blasphème.
Le magistrat triomphe et lève un front altier.
La dévote au teint blême, en modeste panier,
Rit sous cape, soupire et court chez sa voisine,
Du Décret qu’elle abhorre, annoncer la ruine.
« Enfin le Ciel s’explique, il doit être aboli,
Dit-elle, et le Roi veut qu’il tombe dans l’oubli. »
Il le veut ? Mais j’entends un nouveau Chrysostôme
Qui s’attire bientôt les regards du royaume.
Pressy, ce brave athlète et rival de Morus,
S’oppose aux volontés du moderne Titus.
« Oui, dit-il, c’est à nous que le Ciel illumine,
de parler. Nous avons les clefs de la doctrine.
À notre égard la loi ne saurait avoir lieu.
L’observer, ce serait désobéir à Dieu.
Rome a parlé. Voilà mon oracle et je brûle
De répandre mon sang pour la céleste Bulle.
Dans son sens naturel, la Bulle est à nos yeux
De l’Évangile saint l’abrégé précieux.
Un évêque, de l’un, s’il doit être l’apôtre,
Sans crainte sur les toits doit aussi prêcher l’autre.
Profanes magistrats, oui, je vous brave tous ;
Les pasteurs d’Israël auraient peur des coups.
En mourant pour la Bulle, on vole à la victoire. »
Empire des Français, quelle serait ta gloire
Si la religion n’avait jamais chez toi
Que des Pressy pour chefs, pour appui que leur foi !
Mais à peine en vois-je un qu’anime ma harangue.
Le cœur, s’il est glacé, glace à son tour la langue.
Poncet, le seul Poncet, dans ses mœurs si réglé,
Si cher à son troupeau, pour la foi si zélé,
S’expose à mille traits pour le Décret de Rome.
Dans le prélat chez lui brille aussi le grand homme.
Avec quel noble orgueil il foule au pied l’argent !
Hors la Bulle, à ses yeux tout est indifférent.
L’huissier dans son palais, le sergent à sa porte,
Des suppôts de Thémis une avide cohorte,
Enlève du Prélat les meubles précieux,
Et le Prélat, tranquille, au Ciel lève les yeux.
Aux ordres de son Roi sourd, quand le Ciel l’ordonne ;
Muet pour l’intérêt, mais pour la Bulle il tonne.
Le prix de la vertu, dans ce temps, quel est-il ?
Voyez, privé de tout, Poncet marche en exil.
C’est ainsi des Français qu’on traite l’Athanase,
Dont l’exemple devrait nous ravir en extase.
Mais loin de l’imiter, Prélats, vous pâlissez.
La Bulle est notre règle et vous la trahissez,
De notre auguste foi protecteurs infidèles,
Sur les tours d’Israël aveugles sentinelles,
Quoi, vous osez vous taire, et pour vos chers troupeaux,
Chiens muets, vous perdez quarante ans de travaux !
Si la Bulle à vos yeux était sans conséquence,
Pourquoi pour un chiffon troubler toute la France ?
Mais si de l’Esprit saint ouvrage précieux,
Elle apprend aux humains la doctrine des cieux,
Prélats, en sa faveur en pouvez-vous trop faire ?
On la charge d’affronts, et vous pouvez vous taire ?
Parlez ; que dis-je, il faut jeter des cris perçants.
Trompettes de Sion, de vos tristes accents
Remplissez le royaume ; allez, vrais Isaïes,
Vengeurs des droits du Ciel sacrifier vos vies.
Gardez-vous d’observer l’ordre d’un Roi surpris ;
Jusques au pied du trône il faut pousser vos cris.
Faites plus ; vous voyez que partout on méprise
Dans votre saint Décret l’ouvrage de l’Église :
Témoins des attentats commis contre sa foi
Convient-il, des mondains moins censeurs que complices,
De vivre mollement plongés dans les délices ?
Vos pompes, vos festins excitent nos soupirs ;
La Bulle est dans l’opprobre, et vous dans les plaisirs.
Quand la vérité souffre, ah, voit-on Jérémie
Dans la joie et les ris passer toute sa vie ?
Prenez donc le grand deuil ; pleurez amèrement ;
De vos superbes chars descendez humblement.
Dans le sac, sous la cendre, annoncez votre Bulle ;
Grand Ambroise, à ta voix Théodose recule.
Louis, surpris de voir des Prélats pénitents
Pourra-t-il à vos pleurs se refuser longtemps ?
Ou, de vos dignités si l’éclat vous dispense
D’imiter les saints Pauls, de faire pénitence ;
Hé bien, laissez ce soin à ceux qui le pourront :
Pleins de zèle, à Citeaux les moines la feront.
Mais du moins des Docteurs s’arment-ils de leurs plumes.
Pour défendre la Bulle, enfantez des volumes.
Imitez un Languet : auprès de ce géant,
Petitpied n’est qu’un nain, Colbert n’est qu’un enfant.
Ses écrits si marqués au coin de la logique
Seront le désespoir de l’impuissante clique.
Aussi, que d’acceptants ont-ils dans Paris !
Tournely, de sa main les a même transcrits.
Quel exemple ! Languet n’est pas le seul modèle,
Prélats, qui doive ici ranimer votre zèle.
Laborieux La Tate, illustre Charancy,
Ombre de Saléon, mânes du grand Bissy,
Reparaissez, sortez de vos abîmes sombres ;
Voyez, vos successeurs ne valent pas vos ombres.
Du moins dans vos écrits vous nous parlez encore.
Vous revivez pour nous dans ce riche trésor.
L’un, dans les doux accès de son pieux délire,
De Satan sans pâlir sondant le sombre empire,
Nous apprend sagement que l’Ange séducteur
Peut même, au nom du Christ, rival du Créateur,
Déranger à son gré les lois de la nature.
L’autre, dans les secrets d’une cabale impure,
Conduit par l’Esprit saint, dévoile à l’univers
De complots monstrueux l’assemblage pervers.
Quel service important ! Sans cette découverte,
Et l’église et l’État, tout courait à sa perte.
L’autre des Bellelli triomphe en expirant.
Tous, du fond du tombeau, prêchent éloquemment.
Mais dans leurs successeurs ce n’est plus qu’une écorce.
Les bouches sont sans voix, et leurs plumes sans force,
Simulacres vivants que la Bulle a formés ;
Squelettes aujourd’hui, pour elle inanimés.
Cependant le mal presse ; écoutez l’hérésie
Qui d’un air triomphant, dans mille écrits publie,
Que l’homme sous la grâce [sic] est sans activité,
Dans le bien sans mérite, au mal nécessité…
À ces mots : ah ! je vois le feu qui vous anime.
On prend la plume enfin, chacun de vous s’escrime.
Mais où portent vos coups ? Hé, vos efforts sont vains.
Don Quichottes sacrés, vous bravez des moulins.
Ce n’est point là, Pasteurs, que vous conduit la Bulle,
Voici, voici le monstre affreux et ridicule
Que ce Décret attaque et qu’il faut avec lui,
Si l’on veut l’observer, foudroyer aujourd’hui.
Sans Dieu l’on ne peut rien. Ciel, quelle extravagance !
Ce Dieu peut ce qu’il veut. Tout cède à sa puissance ;
Quand il veut sauver l’homme en tout temps, en tout lieu,
L’indubitable effet suit le vouloir d’un Dieu.
Quel blasphème ! Un pécheur du crime n’a pas honte ?
C’est sagesse et bonté de l’éprouver. Quel conte !
Il faut n’aimer que Dieu. Quelle horreur ! Son amour,
Seul justifie et seul mène à l’heureux séjour.
Quelle témérité de damner un Socrate !
L’infidèle n’est-il qu’un frivole automate,
Qui, créé pour le Ciel, sans foi n’y peut entrer ?
Sans charité le Juif n’y saurait pénétrer.
Pourquoi donc ? un chrétien qu’une crainte de bête
Pousse, ne peut du Ciel obtenir la conquête.
Mensonge : dans Languet le contraire est marqué.
À lire l’Écriture on doit être appliqué.
Rien de plus malsonnant : dès lorsqu’elle est obscure,
Un laïque fait mal de lire l’Écriture.
La lit-on en Espagne ? On doit dans le serment
Être très réservé, Dieu le veut. Quesnel ment.
Un chrétien que conduit sa passion brutale,
Ne doit pas s’approcher de son Dieu. Quel scandale !
Indignés à ces traits, vous frémissez, Prélats.
Votre foi se réveille enfin, et dans Brancas
Je vois qu’un feu nouveau dans ses regards pétille.
Il se lève : oui, dit-il, la Bulle ou la Bastille.
Ou plutôt, pour punir l’inflexible opposant,
Vivant sans loi, qu’il meure aussi sans sacrement.
Charleval, à ces mots d’un pas ferme s’avance.
Trop heureux Charleval, s’il eût dû sa naissance
Au sein d’une Monique instruite de la foi !
Mais sa mère expirante écarte avec effroi
Le Décret, dont partout le sceau caractérise
Quiconque doit entrer dans la terre promise.
« Hé bien, dit saintement son fils, sur mon devoir
La nature en ce jour doit-elle prévaloir ?
Non, ministres sacrés, fermez le sanctuaire ;
Ma mère au saint Décret veut mourir réfractaire. »
Grands sentiments ! Brancas applaudit. Son clergé
Qui l’anime à son tour est par lui protégé.
Digne d’un plus beau sort, le grand Joannis lui-même,
Suspecté dans sa foi, périt sous l’anathème.
Du silence ordonné l’arrêt infructueux
N’est qu’un obstacle vain pour les cœurs vertueux.
Ne vous démentez pas, Bullistes intrépides.
Mais quoi, dans l’heureux cours de tes progrès rapides
Tu t’arrêtes, Brancas ? Du sénat provençal
Pourrais-tu redouter le faible tribunal ?
S’il ose violer les saints droits de l’Église,
Est-ce en vain dans tes mains que sa foudre est commise ?
Tu crosse, à quoi sert-elle ? Hé, frappe seulement,
Tu verras à tes pieds ramper le Parlement.
Mais quand la peur saisit, tout conseil est stérile.
Brancas dans Avignon va chercher un asile.
Ah, quand le pasteur fuit, que devient le troupeau ?
Mourir pour le Sauveur serait un sort si beau.
Mais non, chacun trahit l’honneur des tabernacles.
Est-ce ainsi, juste Ciel, qu’on défend tes oracles ?
La Bulle n’est donc plus un ouvrage divin ?
Je lui cherche un vengeur et je le cherche en vain.
Belsunce ne dit mot. Bertin recule à Vannes,
Et d’un loup à Carnac court encenser les mânes.
Du glorieux Bissy le rusé successeur
Démontre sa faiblesse en montrant son ardeur.
Dans Meaux, le vieux Pastel, scandaleux hérétique
Est exilé. Pourquoi ? le Prélat politique
Écarte lâchement le coup qu’il sait prévoir,
Et craint plus le sénat qu’il n’aime son devoir.
Ah, lâches, décorés d’un si beau caractère,
Ignorez-vous les droits du sacré ministère ?
Faut-il vous rappeler ces célèbres Pasteurs
Dont la Bulle autrefois a reçu tant d’honneurs ?
Un La Fare, malgré l’autorité suprême
Vrai lion, quelquefois blessé, toujours le même ;
Brûle dans ses écrits, mais brûlant pour la foi,
Contre le rigorisme en tout temps je le vois
S’armer, et le cœur plein d’une sainte amertume,
Le combattre avec soin par sa vie et sa plume.
Foresta, quel héros ! quoi, sous un Roi mineur
Interjeta sans crainte appel au Roi majeur.
Un Janson qui bravait et Sénat et Monarque,
Pour donner de son zèle une éclatante marque.
Un Gigault qui toujours la Bulle devant lui
Dans Paris la ferait triompher aujourd’hui,
Si le démon jaloux n’eût ravi ce grand homme.
Un Saint-Agnan (la foi sourit dès qu’on le nomme.)
Si fier contre Quesnel, si dévot pour la Croix.
Beaufort qu’un feu si vif transportait quelquefois,
Et tant d’autres formés au sein de l’héroïsme,
Formidables marteaux du fatal Jansénisme,
Molinistes profonds, qui dans saint Augustin
Voyaient à chaque trait leur système divin ;
Jour et nuit occupés de la Bulle immortelle,
Sans goût que pour sa gloire et sans yeux que pour elle.
Aussi leurs noms chéris, à jamais consacrés,
Vivront en lettres d’or dans nos fastes sacrés.
Prélats, tels sont vos chefs ; c’est sur leurs nobles traces
Qu’il faudrait sans pâlir affronter les disgrâces.
Que risquez-vous ? Vos biens ? bagatelle. Le Ciel
Est-il trop acheté par un vil temporel ?
La liberté ? mais quoi ! zélés pour l’équilibre
Un prélat dans les fers n’est-il pas toujours libre ?
Votre vie, hé, la Bulle en mérite les frais.
La gloire du martyre est-elle sans attraits ?
Dissipez donc, Prélats, vos injustes alarmes.
Vous pouvez faire plus, n’avez-vous pas des armes ?
Portez-vous dans vos mains des foudres impuissants ?
Ils frappent d’autant plus qu’ils touchent moins les sens.
Vos succès sont certains ; à d’invisibles armes,
Que peut-on opposer que des vœux et des larmes ?
Maîtres du sombre abîme, ouvrez-le ; à vos genoux
Où l’ennemi se jette, ou périt devant vous,
Faites donc tout tomber sous vos glaives de flammes.
Oui, pour sauver la Bulle, il faut damner les âmes,
Et c’est par charité qu’on les met en enfer.
Habiles médecins, par le feu, par le fer,
Retranchez d’un côté, vous guérirez de l’autre.
À Corinthe autrefois on vit le grand Apôtre
Armer même Satan contre un crime commun.
Mais voyez aujourd’hui que de forfaits en un !
Cent têtes à l’erreur tombent par vos maximes :
Ainsi les rejeter, c’est commettre cent crimes.
Armez-vous donc, Prélats, des traits du Vatican,
Frappez les criminels, livrez-les à Satan.
Mettez la France en feu, n’épargnez pas les trônes ;
Le respect à vos pieds mettra jusqu’aux couronnes.
Mais je parle à des sourds que la crainte a glacés.
Sur vos sièges brillants n’êtes-vous donc placés
Que pour mettre au grand jour l’opprobre de l’Église ?
On ne voit pas dans vous cette noble franchise
Qui vous faisait au vrai marcher avec grandeur.
Va-t-on à Dieu sans feinte ? On y va sans frayeur,
Ce n’est plus parmi vous que fraudes, qu’artifice,
Et pour vous entraîner au fond du précipice,
Le sordide intérêt connaît plus d’un détour.
Enfin l’homme de Dieu n’est qu’un homme de Cour.
Qu’un fidèle (il le peut sur la foi d’un Saint-Père)
Dépose du Chrétien l’auguste caractère,
On doit lui pardonner ; mais vous, chefs d’Israël,
Flambeaux de l’univers, interprètes du Ciel,
À nos yeux étonnés qu’un masque vous déguise,
Ah ! si vous succombez, colonnes de l’Église,
Nous, fragiles roseaux, quel sera notre espoir ?
Et l’Église enseignante, où pourra-t-on la voir ?
Tous, d’un si bel accord pour recevoir la Bulle
Vous fixiez donc la foi ; mais si chacun recule
De concert pour l’erreur, au mépris de la loi
Quel indigne soufflet vous donnez à la foi !
Que dira l’hérésie ? « Ah, voyez, dira-t-elle,
Sur son sacré dépôt si l’Église est fidèle,
Tous les chefs aujourd’hui divinisent des lois,
Et tous le lendemain pour elles sont sans voix.
Cette pluralité qui doit servir de guide,
À présent pour l’erreur clairement nous décide.
Tous se taisent : quel cas méritent ses Décrets
Si l’Église enseignante a pour chefs des muets ? »
L’hérétique eut-il tort de tenir ce langage ?
L’honneur seul doit, Prélats, soutenir votre ouvrage.
Par le vent de la Cour retournés aujourd’hui,
S’il change, on vous verrait tous changer avec lui.
Sous un fouet inconstant tel est le buis mobile
Au gré d’un vain caprice aveuglément docile,
Que fait tourner l’enfant dont il est le jouet.
Un évêque doit-il craindre les coups de fouet ?
Du consubstantiel le seul mot en attire
À cent pontifes saints ; mais l’espoir du martyre
Les soutient sous ces coups, leur foi fait leur appui.
Ne s’agit-il, Prélats, que d’un mot d’aujourd’hui ?
Cent erreurs à la fois, mises en évidence
(Voyez comment le pus sort avec abondance)
succombent sous le poids d’anathèmes divers.
Ce décret qu’a signé la main de l’Univers
Offre donc (froidement, Prélats, peut-on l’entendre ?)
De la Religion tout le corps à défendre.
Et vous, les défenseurs interdits, étonnés,
Sur un mot de Louis, quoi ! vous l’abandonnez ?
Si dans ces tristes jours vous manquiez de constance,
Ah, que de maux, grand Dieu, vont inonder la France !
Écoutez et tremblez : je vois un monstre affreux
(Ciel, daigne détourner des malheurs si nombreux)
qui s’élève, s’agite, et répand dans sa course
un funeste poison dont l’enfer est la source.
Quel monstre ! il fait trembler. Rigorisme est son nom.
Couvert de beaux dehors de la Religion,
D’abord il éblouit ; son regard en impose.
À l’entendre le Ciel lui confia sa cause.
Mais faut-il en juger par le premier coup d’œil ?
Sur ses pas la tristesse en longs habits de deuil,
Voyez, traîne après soi la sombre pénitence.
L’Évangile à la main, la froide tempérance
Contente de ce bien, me glace en s’avançant.
La plaintive oraison près d’elle en méditant
Marche, souvent s’élance et frappe sa poitrine.
Le jeûne d’une main portant la discipline,
Et de l’autre une croix, se traîne avec effort,
Et dans sa tête m’offre une tête de mort.
Un voile sur les yeux, voulant être inconnue,
L’humilité se cache et s’échappe à ma vue.
En lugubre appareil, couvert d’un crêpe noir,
Tristement précédé de l’austère devoir,
L’œil noyé dans les pleurs, la douleur sur la face,
Un pécheur converti suit en demandant grâce.
Et pour fermer enfin ce cortège effrayant,
L’œil en feu, fer en main, marche d’un air bruyant,
La persécution, Euménide farouche,
Qui respire le sang, le vomit par la bouche,
En fait couler des flots… Ah Ciel ! Ah chers Prélats,
Hâtez-vous, de la Bulle armez, armez vos bras,
Avec elle chassez l’odieux Rigorisme,
Ennemi déclaré du riant Pichonisme.
Il va tout désoler : Bacchus perd ses autels,
L’amour ses rendez-vous, Momus fuit les mortels.
Il faudra désormais combattre la nature.
Prélats, peut-on ne pas aimer la créature ?
Vous le savez. Déjà je vois en long manteau,
Le visage ombragé d’un immense chapeau,
La sévère réforme, et qui d’un ton d’oracle,
Défend rouge, panier, frisure, bal, spectacle.
Plus de ris, plus de jeux, théâtres, opéras,
Vous tombez, ah ! que vois-je ? Accourez, chers Prélats.
Ridiculum acri
Fortius ac melius magnas plerumque secat res. Hor.
Post-scriptum
Quelle horreur, diront certains lecteurs scrupuleux, quel scandale ! De tels écrits sont-ils donc l’ouvrage de la charité ? La vérité pour se défendre a-t-elle recours aux personnalités ? Attendez, cher lecteur, la conscience parle souvent sans réflexion. Sa délicatesse occasionne quelquefois des erreurs. Sem fit bien de jeter un manteau sur Noé. Mais Joseph fit-il mal en dévoilant la honte de ses frères ? Médire est sans doute un crime. Dire du mal n’en est pas toujours un. Toute calomnie est punissable, mais toute raillerie ne l’est pas. La première des ironies n’est-elle pas sortie de le bouche de Dieu même ? La charité incarnée a-t-elle épargné les Hérodes ? Que de traits lancé par le plus doux des hommes contre les princes des prêtres ! Les Augustin, les Jérôme, les Grégoire, les Hilaire n’avaient-ils pas une conscience délicate ? Et cependant quelle vivacité dans les apostrophes ironiques dont leurs ouvrages sont semés. Il est des plaies qui ne demandent pour être guéries que de l’huile et du baume. Il ne est d’autres qui ne peuvent l’être que par le fer et le feu. N’est-il pas étrange qu’après la foule d’écrits triomphants produits contre la Bulle, on s’opiniâtre aveuglément pour sa défense ? Et doit-on autre chose que des railleries à qui prétend que la lueur d’une lampe l’emporte sur l’éclat du soleil ? Si les évêques n’ont pas lu ces ouvrages, leur paresseuse indifférence ne doit-elle pas faire horreur et pitié ? sur quels fronts sera-t-il permis de jeter de la confusion, si c’est un devoir de la leur épargner ? S’ils les ont lus, que n’en détruisent-ils les raisons par de plus fortes ? Pourquoi toujours se retrancher dans un principe dont la fausseté leur a toujours été démontrée. Leur érudition mécanique se réduit toujours à répéter que la Bulle est un jugement doctrinal, loi de l’Église et de l’État. Si l’on rendait un principe vrai en le répétant, celui-ci serait de la plus grande certitude. Mais ce sont des preuves qu’il faut et non des redites. Si l’on nous renvoie aux ouvrages de Messieurs Languet et Bissy, c’est nous dire, ou qu’on n’a pas lu ceux de leurs adversaires, paresse impardonnable ; ou qu’on les a trouvés moins solides, aveuglement funeste, assez combattu pour ne plus mériter que des railleries.
Mais la raillerie, dira-t-on, doit être resserrée dans certaines bornes. D’accord, 1°. Elle ne doit pas dévoiler des vices secrets. Aussi dans quel coin du royaume ignorait-on avant cette épître des traits dont les gazettes même instruisent les plus indifférents ? 2°. Elle ne doit tomber que sur un ridicule réel. Mais le ridicule ne perce-t-il pas à travers le personnage que veulent jouer certains évêques ? L’air de religion qu’ils voudraient prendre ne grimace-t-il pas sur leurs visages ? Les opposants, disent-ils, sont des pécheurs publics. Et le public demande tous les jours quel est leur crime. Quoi de plus ridicule que de mettre, en dépit du bon sens, dans la classe des comédiens, des usuriers et des adultères connus pour tels, des hommes que l’on connaît pour les citoyens les plus sages, les sujets les plus fidèles et les chrétiens les plus édifiants ? Quoi de plus ridicule que d’exiger des serments sans en spécifier l’objet, de crier à l’hérétique sans montrer d’hérésie, de jouer le martyr dans le sein des plaisirs ? Quel travers inouï d’offrir les saints mystères au déiste qui les méprise et de les refuser au catholique qui les désire ? Ceci passe la raillerie. Ce contraste est indigne. Et quand l’indignation s’en tient à la raillerie, ne devrait-on pas lui savoir gré de sa modération ?
3°. La raillerie doit respecter les caractères et ménager les dignités. A Dieu ne plaise qu’on veuille inspirer du mépris pour l’épiscopat. Ce n’est pas dans les Ambroises seuls qu’ion honore le saint caractère. Les moins dignes de le porter ne le rendront jamais vil à nos yeux. Et n’est-ce pas montrer du zèle pour sa gloire que d’en venger l’honneur outragé ? Avec quel respect on se prosternerait aux pieds de ces mêmes évêques que l’on censure, si l’évêque se montrait seul dans leurs personnes ? Que Monsieur de Beaumont change, n’aura-t-il pas à craindre d’être trop chéri, trop respecté dans une ville où on ne parle de son aveuglement que pour le plaindre et de ses fautes qu’en les excusant. Si l’expression, cher lecteur, vous a paru quelquefois trop dure, ou la raillerie trop piquante, au moment que le respect l’arrêtait, elle échappait à l’indignation. Nous gémissions les premiers de la voir justifiée par la vérité. Plût à Dieu qu’on pût nous convaincre de calomnie ; le jour de l’amende honorable serait pour nous un jour de fête.
4°. La raillerie doit se proposer un effet salutaire. On ne s’en promet aucun d’un ouvrage si peu réfléchi, dont un instant a fourni l’idée, qu’un travail de trois jours a si mal remplie. On ne s’attend pas à voir éclore de cette lecture aucun heureux changement. L’ironie est moins faite pour défendre la vérité, ou pour gagner ses adversaires que pour les désarmer. Quel est le Jésuite que les Proviciales ont converti ? Cependant, si l’espérance d’être utile était mal fondée, on n’en avait pas moins l’intention de l’être. L’aiguillon qu’on emploie peut ne pas toujours paraître celui de la charité, et cependant l’avoir toujours été. Quel autre but pourrait-on avoir en raillant les évêques sur leurs efforts en faveur de la Bulle, que de les dégoûter d’une pièce qui ne fait que du mal, leur enlever la chimère qui les occupe, pour tourner leurs vues sur des maux plus dignes de leur attention. La déclaration du Roi n’est-elle pas le chef-d’œuvre d’une sage politique, qui tend à concilier tous les intérêts, qui ménage l’amour-propre des évêques en leur sauvant le désagrément d’une rétractation, et faciliter leur retour au vrai, en rendant leur changement aux yeux des peuples le fruit insensible d’une légitime obéissance ? Qu’ils se taisent sur un fantôme d’hérésie qui n’a d’être que dans leur imagination, et qu’ils ouvrent les yeux sur les monstres réels dont les ravages de leur diocèse ne prouvent que trop l’existence. Ignorance dans les campagnes, corruption dans les villes, relâchement dans la morale, profanation des choses saintes, décadence dans les études, libertinage d’esprit, affaiblissement dans la foi, extinction de la charité, mépris des lois de Dieu et de l’Église. Voilà les objets qu’on voudrait substituer aux chimériques erreurs contre lesquelles les prélats exercent depuis tant d’années un zèle d’autant plus ridicule qu’on leur crie de tous côtés qu’elle n’ont point de partisans. Heureuse sans doute la raillerie qui, les faisant enfin rougir de leurs injustes préventions, les ramèneraient au vrai bien de leurs diocèses, et d’où résulterait la paix de l’Église, le calme de l’État et la gloire du nom duSeigneur. Imple facies eorum ignominia et quarent nomen tuum, Domine.
imprimé, sl, 1755, 24 p. in-12
BM Lyon 809682