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Questions du moment

Questions du moment1
On condamne au feu l’édit2 ,
S’écrie un franc moliniste ;
Bon, répond un janséniste,
C’est le Type qu’on proscrit.
Chacun de vous est un âne,
Dit le docteur anglican,
L’arrêt seulement condamne
Le concile de Latran.

Le Régent travaille en vain ;
Il ordonne et puis révoque,
Use souvent d’équivoque,
Et tout demeure incertain.
Un cas sans exemple arrive,
Ce prince le règle ainsi :
Je veux, dit-il, que l’on suive
Ce qui s’est fait jusqu’ici.

Votre Law est un filou,
Disait au Régent Noailles,
L’autre dit, par représailles :
Votre duc est un grand fou.
C’est ainsi qu’à toute outrance
Ils se déchirent entre eux ;
Mais, le malheur de la France,
Est qu’ils disent vrai tous deux3 .

Rabaissez votre caquet,
Seigneur du premier étage,
Qui faisiez tant de tapage
Pour un seul coup de bonnet.
De ce rang de pairs de France,
Où tout doit être soumis,
Que voulez-vous que l’on pense,
Quand un duc se fait commis ?

La Force se fait commis,
Saint-Simon, c’est ton ouvrage4 .
Dieu ! le bel avantage,
Qu’au duché tu réunis.
Anciens pairs de notre France,
Venez voir vos successeurs,
Dans un bureau de finance,
Devenir monopoleurs5 .

Régent, le courroux des cieux
A dérangé ta prunelle.
Sous sa forme naturelle !
Rien ne paraît à tes yeux ;
Recommence ton remède6 ,
Les Francais te béniront,
Si tu peux voir, par son aide,
Les Noailles tels qu’ils sont.

Bourbon, calme tes ennuis,
Et ne sois plus en colère,
De ce qu’on met à l’enchère
La loge que tu poursuis.
Au Pont-Neuf, ton domicile7 ,
Ne peut subir cette loi ;
Quelle catin, dans la ville,
Pourrait enchérir sur toi ?

Je demandais sottement,
Revenant de la campagne,
Que dit-on de la Bretagne ?
Que dit-on du Parlement ?
Le quidam que j’interroge
Dit : Songe-t-on à cela ?
Il n’est bruit que d’une loge
Qu’on dispute à l’Opéra8 .

  • 1Arsenal 2961 ne reproduit que la première strophe, en l’accompagnant de cette mise au point: A l’occasion d’un imprimé à deux colonnes dans l’une desquelles était insérée la déclaration du roi du 7 octobre 1717 qui suspend toutes les contestations au sujet de la Constitution et qui impose silence aux deux partis, et dans l’autre le type de l’empereur Constant II où l’on dit qu’il fit publier l’an 648, par lequel il imposait silence aux orthodoxes et aux hérétiques à l’occasion des disputes qui s’étaient élevées au sujet des erreurs des monothélites, lequel Type ou formulaire fut condamné dans un concile assemblé à Rome dans l’église de Latran l’an 649, dont le jugement est inséré au bas des deux colonnes dans ledit imprimé. Cet imprimé, séditieux par le parallèle qu’on y fait de la déclaration du Roi du 7 octobre 1717 et du type de l’empereur Constant, ayant été condamné par arrêt du parlement à être brûlé par la main du bourreau, on fit cette épigramme.
  • 2Arrêt du Parlement du 2 décembre 1717 qui ordonne qu’un libelle sera brûlé par la main du bourreau. C’est un imprimé à deux colonnes, où d’un côté est la déclaration du roi, du 7 octobre 1717, et de l’autre le Type de l’empereur Constant et le décret du concile de Latran qui condamne ce Type.
  • 3« Le duc de Noailles, jaloux de la confiance du Régent pour Law et du succès de sa banque, la troublait tant qu’il pouvait. Law coulait et quelquefois se plaignait modestement. Noailles, qui le voulait perdre pour être pleinement maître de toutes les parties des finances, redoubla de machines pour le culbuter. Le Régent voulut qu’ils se raccommodassent. Law s’y présenta de bonne foi, le duc de Noailles ne put reculer, il fit le plus beau semblant du monde. » (Saint-Simon.) Ce ne fut qu’une trêve ; la lutte se réveilla bientôt et se termina par la disgrâce de Noailles. (R)
  • 4Un règlement des départements du Conseil des finances en date du 13 décembre 1717 donna au duc de La Force qui était déjà vice‑président de ce conseil, les états des finances des généralités de Toulouse et de Montpellier et ceux des provinces de Bretagne, Bourgogne, Artois, Béarn, Bigorre et Navarre. Saint‑Simon ne prit aucune part à cette affaire; dans le principe même il avait dissuadé le duc d’entrer au Conseil des finances, où il devait se trouver sous la dépendance de Noailles. (R)
  • 5F.Fr.9351 : La Force devient commis / Saint-Simon, c'est ton ouvrage / O Dieu le bel avantage / Que tu donne à tes amis / Vous, anciens pairs de la France, / Venez voir vos successeurs / Pour un bureau de finance / Devenir monopoleurs (Note: Le duc de la Force avait chez lui des bureaux pour les taxes de la chambre de justice)
  • 6C’est bien ce que faisait le Régent. On lit, en effet, dans le Journal de Dangeau, en décembre 1717 : « Dimanche 12.M. le duc d’Orléans est résolu de remettre encore sur ses yeux le remède de ce prêtre de Ruel ; il recommencera mardi. — Mardi 14. M. le duc d’Orléans fit son remède pour son œil ; il n’avait quasi point souffert la première fois qu’on lui fit le remède ; mais il a beaucoup souffert aujourd’hui. » (R)
  • 7On a vu plus haut que la duchesse de Bourbon avait pris un logement à la Samaritaine. (R)
  • 8« Mme la duchesse enleva de haute lutte une petite loge à l’Opéra, qu’avait la maréchale d’Estrées, quoique amie de toute sa vie et dans le commerce le plus intime avec les sœurs du maréchal et fort bien avec les Noailles. Cela fit grand bruit, et tout ce qui tenait aux Estrées cessa de voir Mme la duchesse. On eut recours au Régent pour décider, qui ne voulut point s’en mêler. Pareille chose avait toute la grâce de la nouveauté, même de n’avoir jamais été imaginée. Mais ce qu’on n’eût osé sous le feu roi, quelque indulgent qu’il fût à ses filles et au respect des princes du sang, se hasarda après d’autres essais de la patience et de la timidité du monde. Mme la duchesse laissa crier et garda sa conquête. » (Saint-Simon.) Cet enlèvement de loge eut lieu du 13 au 16 janvier 1718. C’est donc à cette époque qu’il faut reporter la fin de la pièce, ajoutée sans doute après coup. (R)

Numéro
$0244


Année
1717 (Castries)




Références

Raunié, II,321-22 - Clairambault, F.Fr.12696, p.320-21 -Maurepas, F.Fr.12629, p.131-34 -  F.Fr.9351, f°235 et 245v - Arsenal 2937, f°24r (dernière strophe seule) - Arsenal 2961, p.430-31 (première strophe) - Arsenal 3132, p.324-25 (première strophe) - Mazarine Castries 3983, p. 62