Sans titre
J’ai la marotte
D’aimer Marotte ;
Je la préfère à
Nos sœurs de l’Opéra.
C’est une impure
Presqu’aussi sûre
Que ces belles Demoiselles-là.
C’est qu’elle est jolie,
C’est qu’elle est polie,
C’est qu’elle est une folie.
Elle se rit toujours de quelqu’un,
De l’esprit sans suite,
Sa conduite
N’a pas le sens commun.
J’ai la marotte
D’aimer Marotte ;
Quoique trop ouverts
Je préfère ses airs
Aux graves mines
De nos robines
Dont l’orgueil est le moindre travers.
Cet hiver par accident
La veuve d’un président
M’avait pris en attendant
Et ce printemps
J’eus quelque temps
La femme d’un intendant,
Mais à mon corps défendant.
Combien je souffre.
Si c’est, mes amis,
Un malheur d’être pris
Par les présidentes,
C’est encore pis
D’avoir des intendantes.
J’ai la marotte
D’aimer Marotte ;
Adroite en amour
Elle y sait plus d’un tour.
C’est une aisance,
Une indécence.
On croit voir une femme de cour.
De ces femmes-là,
J’en ai jusque là,
Ces fortunes-la
Ne sont pas de grandes trouvailles
Et l’on en aura
Tant qu’on voudra,
D’autant qu’à Versailles
C’est à qui s’en défera.
Mais ici déjà
L’on en veut à
Ma pauvre Marotte.
Déjà l’on complote
De me l’accrocher.
On veut chercher
A saboucher.
On offre cher en viager.
L’un des meilleurs enchérisseurs
Car il faut que je nomme
L’homme.
C’est un riche abbé titré,
Mitré,
Juré.
Son nom
C’est… non.
Ne disons pas tout haut son nom.
Mais si je ne le nomme pas,
Autre embarras !
Le clergé qu’on vient d’assembler
Me fait trembler.
Tous nos prélats,
Gens délicats,
Qui jeûneront,
D’abord prendront
Ce qu’ils pourront,
Puis chercheront,
Détesteront
Marotte
Et me l’enlèveront.
Marotte est faite exprès pour eux.
Elle a des yeux
Tendres et bleus
Bien scandaleux
Quand elle lorgne, il est douteux
Qu’elle ne fasse mieux.
Sur nos pontifes indécents
Ces charmes-là sont bien puissants
Et d’ailleurs Marotte a des sens
Récompensant
Les insolents
Qui montrent des talents.
J’ai la marotte
D’aimer Marotte
Tant que je pourrai
Je la conserverai.
Mais s’il arrive quel’on m’en prive,
Je m’en, ma foi, je m’en passerais.
Mazarine Castries 3989, p.438-41