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Sans titre

Or écoutez mon histoire

Que je vais vous dire ici.

Je n’en ferai point accroire

Voilà tout en raccourci.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Dès ma quatorzième année,

Même encore deux ans devant,

J’étais déjà destinée

Pour rester dans le couvent.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Un ami de la famille

Dont chacun sait bien le nom

Venait me voir à la grille.

C’était Monsieur de Courbon.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Il plaisait fort à ma mère,

Il me plut au moins autant

Et toujours au monastère

M’apportait quelque présent.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Enfin par reconnaissance

Je le choisis pour amant.

Il me parla d’alliance,

J’y consentis au moment.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Cachons bien notre tendresse

Me disait-il un beau jour.

Usons en cela d’adresse

Pour couronner notre amour.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Je promis d’être discrète ;

Je le scellai d’un baiser,

Mais j’avouerai ma défaite :

Ce baiser sut m’embraser.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Or depuis, toute de flamme,

Je ne vivais, ne dirais,

J’appelais Courbon mon âme

Et par lui seul je jurais.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Un soir, il me dit, ma belle,

Je m’en retourne chez moi.

Suis-y ton amant fidèle.

Je lui promis sur ma foi.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Et dès cette nuit-là même

Où je ne dormis pas bien,

Pour suivre un autre moi-même

J’inventai plus d’un moyen

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Je dis à la mère abbesse

Que maman était au lit,

Qu’une lettre qu’on m’adresse

Me dit de partir la nuit.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Qu’il me viendrait une chaise

Pour ma suivante et pour moi,

L’abbesse en parut bien aise,

Mais je le fus bien plus, moi.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

La chaise de poste arrive,

Je l’entendis s’approcher ;

De mon couvent je m’esquive

Et vite, fouette cocher !

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Celle dont j’étais suivie

Jura contre mon projet.

Oh, laissez-vous donc, ma mie,

J’ai résolu ce trajet.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Lors fouillant dans ma pochette,

J’atteignis un pistolet.

Je vous casserai la tête

Si j’entends votre caquet.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

J’adoucis ma gouvernante ;

On poursuivit le chemin

Et dans ma chaise roulante

Des lieux j’approchais enfin.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Une heure avant le village

Je vis Monsieur de Courbon.

Je sautai hors l’équipage,

Dans ses bras ne fis qu’un bond.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Ma gouvernante et ma chaise

Allèrent droit au château,

Et nous, allant à notre aise,

Côtoyons un clair ruisseau.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Si l’on veut que l’on en glose,

Qu’on ait tort, qu’on ait raison,

Mais nous faisions une pause

A chaque petit buisson.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Saint Denis qu’on nous publie

Quand il sortit de Paris

Pour gagner son abbaye,

N’en fit tant, sûre j’en suis.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Et toujours à chaque pause

Des doux mystères d’Amour

Il m’apprenait quelque chose

Que je sais depuis ce jour.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

J’ignorais les jeux de langue

Quand on veut s’entrebaiser ;

Il ne faut point de harangue

Pour à cela s’amuser.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Sa main sur mon sein il coule

Il y fait mille suçons

Il m’apprit que ces deux boules

S’appelaient des blancs tétons.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Et d’une ardeur sans pareille

M’apprit que sous mon jupon,

Cette fente si vermeille

S’appelait un petit con.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Ce que j’eus peine à comprendre,

C’est qu’un mot fut verbe et nom,

C’est l’action de se rendre

Et ce qui fait le poupon.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Mais par trop d’intempérie

Voulant rendre ses ébats,

Je veux que l’on nous marie

Avant de passer le pas.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Pour contenter mon envie

Tous les deux chez le curé

Allâmes de compagnie

Où tout était préparé.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

On fit la cérémonie,

Les témoins étaient tous prêts ;

Et la chose fut finie

Sans aucuns autres apprêts.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Tous les paysans en armes,

Le marguillier, le bedeau,

Firent beaucoup de vacarme

En me menant au château.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

On leur donna de quoi frire,

Et nous nous mîmes au lit.

Mais las ! notre envie de rire

Finit par un fort grand bruit.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Vingt archers avec escorte,

Le pistolet à la main,

Enfoncèrent notre porte,

Tenant lettre de cachet.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Je fus tellement surprise

De cet horrible fracas

Que remettant ma chemise,

Je sautai du lit en bas.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Honteuse d’être ainsi vue,

Je priai ces hoquetons

Pour n’être pas toute nue,

De me donner mes jupons.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Sans perde la tramontane

Courbon sut dans le moment

Sans leur faire de chicane

Gagner un dégagement.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Une porte dans l’alcôve

Fit que sans être aperçue,

Culotte en main il se sauve.

Onc depuis je ne l’ai vu.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

On me prend et l’on me mène

Dans un couvent de Paris.

Dieux ! que l’on m’y fait de peine.

Depuis ce temps-là j’y suis.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

On procéda d’importance

Tant enfin qu’au Parlement

A mort par une sentence

Fut jugé mon tendre amant.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Quand depuis cette entrefaite

Mourut ma dure maman,

Me déshérita, pauvrette,

Par un dernier testament.

On me dit que mon affaire

Était bonne assurément.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

J’avais gagné la jeunesse

Du Parlement de Paris.

Mais las ! toute la vieillesse

Leur donna le démenti.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Ainsi, quoique riche, née,

Sans honneur et sans appui,

Je me trouve ruinée

Et sans un sol aujourd’hui.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Filles qui venez de lire

Cette longue chanson-ci,

Ne vous laissez pas séduire

Et profitez de ceci.

Oh ! qu’ils sont méchants

En grand robe noire ;

Oh ! qu’ils sont méchants

Ces présidents.

Numéro
$6180


Année
1741




Références

Mazarine Castries 3987, p.343-64