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L'Arrestation du prince Édouard

L’arrestation du prince Édouard1
Peuple jadis si fier, aujourd'hui si servile,
Des princes malheureux vous n'êtes plus l'asile ;
Vos ennemis, vaincus aux champs de Fontenoy,
A leur propre vainqueur ont imposé la loi ;
Et cette indigne paix, qu'Aragon vous procure2 ,
Est pour eux un triomphe et pour vous une injure.
Hélas ! aviez‑vous donc tant couru de hasards,
Pour placer une femme au trône des Césars;
Pour voir l'heureux Anglais, dominateur de l'onde,
Voiturer dans ses ports tout l'or du nouveau monde,
Et le fils de Stuart par vous‑même appelé
Aux frayeurs de Brunswick lâchement immolé3  ?
Et toi4 , que les flatteurs ont paré d'un vain titre,
De l'Europe aujourd'hui te diras‑tu l'arbitre,
Lorsque dans tes États tu ne peux conserver
Un héros que le sort n'est point las d'éprouver,
Mais qui, dans les horreurs d'une vie agitée,
Au sein de l'Angleterre à sa perte excitée,
Abandonné des siens, fugitif, mis à prix,
Se vit toujours du moins plus libre qu'à Paris ?
De l'amitié des rois exemple mémorable,
Et de leurs intérêts victime déplorable !
Tu triomphes, cher prince, au milieu de tes fers :
Sur toi, dans ce moment tous les yeux sont ouverts ;
Un peuple généreux et juge du mérite
Va révoquer l'arrêt d'une race proscrite :
Tes malheurs ont changé les esprits prévenus ;
Dans les cœurs des Anglais tous tes droits sont connus:
Plus sûrs et plus flatteurs que ceux de ta naissance,
Ces droits vont doublement affermir ta puissance ;
Mais sur le trône assis, cher prince, souviens‑toi
Que ce peuple superbe et jaloux de sa foi
N'a jamais honoré du titre de grand homme
Un lâche complaisant des Français et de Rome5 .

  • 1 Le prince Édouard fut arrêté à l’entrée du cul‑de‑sac de l’Opéra par M. de Vaudreuil, major des gardes françaises, et saisi à l’instant par quatre sergents pour qu’il ne pût faire usage de pistolets qu’on lui trouva dans la poche. Il fut conduit à Vincennes et peu de jours après au pont de Beauvoisin, d’où il prit la route de Fribourg, en Suisse. Ce ne fut qu’à toute extrémité que le Roi le fit arrêter. C’était un article secret du traité de paix d’Aix‑la‑Chapelle qu’il sortirait de France, et le Roi lui avait envoyé plusieurs personnes de distinction pour l’inviter à sortir du royaume, le priant de demander ce qu’il voudrait, et qu’on le lui donnerait. Il répondit toujours qu’il ne sortirait pas de France que le Roi ne lui tînt la parole qu’il lui avait donnée en y arrivant de ne le pas abandonner qu’il n’eût un établissement convenable. Cette affaire fut fort désagréable pour le Roi et pour le ministère et ne fit pas honneur au traité de paix. (M.) (R)
  • 2M de Saint‑Séverin, plénipotentiaire à Aix‑la‑Chapelle. (M.) (R)
  • 3George de Brunswick, roi d’Angleterre. — L’auteur de cette pièce bien frappée fut quelque temps inconnu ; mais, trahi et livré par un lâche ami, on dit qu’il fut conduit par ordre du Roi dans la cage du mont Saint-Michel, où fut jadis enfermé le Gazetier de Hollande et qu’il y a fini misérablement ses jours. (M.)
  • 4Le roi Louis XV (M.) (R)
  • 5Le chevalier de Saint‑George, père du prince Édouard. (R)

Numéro
$1058


Année
1748




Références

Raunié, VII,131-33 -Clairambault, F.Fr.10718, p.387-88 - F.Fr.10478, f°266 - F.Fr.13659, p.307-08 - F.Fr.15142, p.247-49 - NAF.9184, p.505-06 - Barbier, IV, 340-41