L'Abolition du parlement de Rouen
L’abolition du parlement de Rouen
Approchez tous, et qu’un chacun écoute
Le fait piteux que je vais raconter
Les exilés en riront peu sans doute,
Car tous les cœurs ont lieu de s’attrister.
Chère patrie,
Chère Neustrie,
Dis-nous comment
Est mort ton Parlement.
Ce Parlement, qui se traitait de classe,
Car il était composé d’écoliers,
Voulait du maître, hélas ! prendre la place,
Et s’est enfin mis mal dans ses papiers.
C’est grand dommage,
Il eût, je gage,
Vécu longtemps
Étant rempli d’enfants.
Que de beaux traits illustrent sa mémoire,
Que de beaux traits le faisaient respecter !
Oui, ses droits forment une histoire
Propre à le faire regretter.
Que de victimes
Franches de crimes
Ont, par ses soins,
Péri devant témoins.
Vasse et Follen1
, vous méritiez sans doute
Que vos parents vous fissent fouetter.
Notre Sénat a pris une autre route :
Il vous a fait tous deux décapiter.
Sans quoi peut-être
Vous pourriez être
En faction
Morts sans confession.
Pauvre Fourcy2
, ce Sénat vénérable,
Cet attentif et clairvoyant Sénat,
Quoique innocent, vous a jugé coupable
Et fait rouer comme un franc scélérat.
Sa prévoyance
Vous a d’avance
Su garantir
Des maux à venir.
Chose au-dessus de toute vraisemblance,
Ce bénin corps a remontré à haut,
Non en faveur de la triste innocence,
Mais au profit du planteur d’échafaud.
Fait incroyable,
Mais équitable,
De son métier
Doit vivre l’ouvrier.
Saffray, Duval, Yon, Viard3
, et tant d’autres
Qui rimeraient ici malaisément,
De par le Roi vous êtes tous des nôtres,
Quoique proscrits de par le Parlement.
Si, dans sa rage,
L’aréopage
Vous eût pendus,
Vous n’existeriez plus.
Nos grands jugeurs, pour augmenter leurs rentes
Ont fait accroire au Roi le plus humain
Qu’il rendrait tôt la province opulente
S’il permettait que l’on touchât au pain.
Mais Dieu sait comme
Tout homme est homme
Quand notre bien
Peut devenir le sien.
Ils étaient tous avides de science,
Ils en meublaient largement leur cerveau,
On les voyait jusque dans l’audience
Lire projets, gazette, écrits nouveaux.
Puis, sans entendre,
Sans rien comprendre,
Ils vous jugeaient
Tout comme ils le voulaient.
La charité, constamment délaissée,
Nous n’étions pas dignes d’en profiter.
Quand des jugeurs la morgue est offensée,
On les entend aussitôt la citer.
Mais c’est la mode,
C’est la méthode,
Nul aujourd’hui
Ne pense pour autrui.
Ci-gît, hélas ! qui fut jadis en vie ;
Ci-gît un mort qui jamais ne vivra,
Qui se disait père de la patrie,
Et de son sang fréquemment s’abreuva.
Future race,
Faites-lui grâce ;
Il ne savait
Souvent ce qu’il voulait4
.
- 1Deux officiers de Royal‑Lorraine, exécutés en 1762. (M.) (R)
- 2Roué en 1764, au rapport de M. de Ranville, qui ne voulut pas différer de le faire, quoiqu’on lui dît que les vrais coupables étaient arrêtés en province ; le fait était vrai. La mémoire a été réhabilitée, le procès revu au Conseil et cassé. (M.) (R)
- 3Accusés dans différents procès, condamnés à mort, les arrêts cassés en révision, malgré les sollicitations contraires du Parlement. (M.) (R)
- 4Comme on peut le voir par cette pièce et les trois précédentes, les mesures prises par Maupeou ne furent pas accueillies avec les mêmes sentiments dans toutes les provinces. (R)
Raunié, VIII,227-31