Harangue du Grand Thomas le jour de sa réception à l'Académie Française
Harangue du Grand Thomas
le jour de sa réception à l'Académie Française
Messieurs,
Enfin du bel esprit vous me donnez l'attache.
Ce jour va relever ma gloire et mon panache :
Le public, notre juge, a ri plus d'une fois
De voir tant d'inconnus obtenir votre choix ;
Grands certificateurs des talents qu'on ignore,
Vous l'aviez trop dupé pour le duper encore ;
Je vous réhabilite ; oui, chers amis, je crois
Que personne à Paris n'est plus connu que moi.
Qu'avais-je donc besoin de m'ouvrir votre temple ?
Un poète sensé m'en a donné l'exemple :
Cet homme dont le nom est répandu si loin
Fait cas de vos honneurs, croit en avoir besoin,
un si riche fleuron manquait à sa couronne,
Mais il manquera, votre intérêt l'ordonne ;
C'est un génie hors d'oeuvre, il vous eût déparé ;
Je vous assortis mieux : pesez et mesurez.
Vous ne vouliez voir ni dévot ni profane ;
Charmé qu'à sa conduite on ait cherché chicane.
Singulier comme lui d'habit, d'air, de maintien,
Mais plus utile au peuple et vrai paroissien,
C'est à bon droit, Messieurs, qu'ici je prends séance.
Tout art et tout métier veulent de l'éloquence.
Un géomète exact vous l'a su démontrer ;
Communiquons-nous donc le grand art de leurrer ;
Mais sans vous entêter d'éloges ridicules,
Désormais sur nos choix ayons plus de scrupules.
Vous en serez exclus, pédantesques galants,
Du clergé subalterne obscurs passe-volants ;
Allez au séminaire apprendre des légendes ;
Le Parnasse n'est pas le chemin des prébendes ;
Pour vous, riches prélats qui chérissez Paris,
Un domicile élu parmi les beaux esprits
Est un titre paré contre la résidence.
Moquez-vous du troupeau qui sèche en votre absence ;
Et toi, rimeur titré qui te moque de nous,
Plie, et du Grand Thomas embrasse les genoux.
Clairambault, F.Fr.12710, p.273-74 - Maurepas, F.Fr.12646, p.243-44 - 1754, VI,125-27 - F.Fr.13656, p.413-14 - Arsenal 3128, f°284v-285r - Toulouse BM, MS 861, p.124