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Aux Anglais

Aux Anglais1
Le tour n’est pas maladroit,
Messieurs d’Angleterre ;
Vous visitez le détroit
Au sein de la guerre ;
Tandis que votre ennemi
Dans le port reste endormi ;
La belle manœuvre, ô gué,
La belle manœuvre !

Malgré nos mille canons,
Et notre marine,
A nous mettre à la raison
Le sort vous destine ;
Neptune vous a promis
D’être à vos ordres soumis,
Fortuné présage, ô gué,
Fortuné présage !

Vous avez des amiraux
D’un fier caractère,
Que récompense en héros
Un peuple sévère ;
Mais lorsqu’ils font un faux pas,
Vous mettez leur tête à bas ;
Bonne politique, Ô gué,
Bonne politique !

Chez nous, ce n’est pas égal ;
L’usage est notoire ;
Qui ne fait ni bien ni mal
Se couvre de gloire ;
D’Estaing s’est sacrifié,
On dit qu’il est oublié :
Quelle différence, ô gué,
Quelle différence !

Nous partirons au printemps
D’une humeur guerrière,
Pour revenir triomphants,
A notre ordinaire :
Sur le rivage anglican
Nous irons voir l’Océan :
Belle promenade, ô gué,
Belle promenade !

Rien ne manque cependant
Pour une victoire ;
Le Francais, noble et vaillant,
Aspire à la gloire :
Il appelle les combats,
Mais les chefs n’en veulent pas.
Voilà le mystère, ô gué,
Voilà le mystère !

Si je savais deviner,
Je pourrais vous dire
Si l’Anglais doit dominer,
S’il aura l’empire ;
Mais nous, si nous triomphons,
A bon droit nous chanterons
La bonne aventure, ô gué,
La bonne aventure !

  • 1- Au commencement de l’année, la guerre maritime inspirait de sérieuses inquiétudes. Hardy notait dans son Journal, au mois d’avril : « Je ne sais lequel du comte d’Estaing ou du comte Duchaffault commandera dans la Manche, mais je suis bien sûr que l’amiral Hardy ou l’amiral Keppel commanderont, donnant à entendre que le pavillon anglais triompherait cette année du pavillon français, ce qu’on devait effectivement redouter, d’autant plus que nos retards multipliés à nous réunir aux Espagnols ne mettaient que trop nos ennemis à portée de nous prévenir en s’emparant les premiers de la mer et venant croiser dans les environs des ports de Brest, Cherbourg et Granville pour empêcher que rien ne pût y entrer ni en sortir et se trouver en même temps à même d’intercepter les bâtiments qui viendraient dans ces parages. » Les rumeurs les plus contradictoires circulaient d’ailleurs relativement aux intentions des ennemis. « Le bruit se répandait que les Anglais faisaient actuellement des propositions de paix, ce qui donnait soi-disant lieu à une espèce de négociation et paraissait suspendre un peu l’activité des préparatifs et des dispositions pour la prochaine campagne ; quoiqu’on eût encore entendu parler depuis peu d’un nouveau projet de descente dans les Iles Britanniques, qui n’avait peut-être pas plus de consistance que celui qu’on avait vu avorter en 1779 dans des circonstances où l’on eût pu s’en promettre quelque succès. Les politiques ne regardaient pas encore comme chose fort avantageuse que les propositions de nos ennemis fussent écoutées, parce qu’ils craignaient qu’on n’accédât à des conditions aussi peu honorables pour la nation que celles souscrites et agréées en 1763, si l’on terminait la guerre avant d’avoir fait éprouver à ces fiers insulaires quelque échec capable de terrasser leur orgueil et de mettre des bornes à l’injustice de leurs prétentions » Cependant à la fin du même mois les hostilités semblaient sur le point de recommencer. « L’amiral Hardy avait reçu contre-ordre de se mettre en mer, de peur qu’il ne vînt à faire la rencontre de notre escadre commandée par M. le comte Duchaffault… M. le comte d’Estaing, vice-amiral de France, allait incessamment partir, s’il n’était déjà parti, pour se rendre à Toulon et y prendre un certain nombre de vaisseaux avec lesquels il devait aller soi-disant se réunir à d’autres dans le port de Brest pour du tout former une flotte dont le commandement lui était confié et avec laquelle il doit croiser dans la Manche. » (R)

Numéro
$1473


Année
1780




Références

Raunié, IX,243-46 - CSPL, IX, 292-94