La Surprise de Guastalla
La surprise de Guastalla1
Broglie, ce fameux général,
Menace de tout prendre ;
Il se croit plus grand qu’Annibal,
Plus guerrier qu’Alexandre.
Il se moque de l’Allemand,
Puisqu’au mois de septembre
On voit qu’en pantoufle il l’attend,
Même en robe de chambre.
Dans un bon lit bien endormi
Avec de telles armes
Il ne craint point que l’ennemi
Lui donne des alarmes,
Il pense que les Allemands
N’oseraient en découdre
Et qu’ils prendront ses ronflements
Pour quelque coup de foudre.
Le Roi le doit récompenser
Pour sa belle trouvaille
D’avoir eu l’esprit d’inventer
Un tel champ de bataille.
Désormais il ne craindra pas
Que son cheval se cabre,
Puisqu’avec de bons matelas
Il peut parer le sabre.
On doit remercier Fleury
Du choix d’un si grand homme
Et d’avoir laissé là Tingry2
Comme à charge au royaume,
Vu que ce prince à contretemps
Eût pu gâter l’ouvrage,
Et de ces pauvres Allemands
Faire un affreux carnage.
- 1Autre titre: Chanson sur l'affaire arrivée en Italie le 15 septembre1734 (Clairambault) - Les troupes impériales étaient campées auprès de la Secchia, sur la rive opposée à celle qu’occupaient les Français. Malgré le voisinage de l’armée ennemie, nos généraux qui n’avaient pas l’intention de l’attaquer, ni de rien entreprendre, semblaient s’imaginer que la campagne était finie, et ne songeaient à prendre aucune précaution. Comme la rivière était guéable en plusieurs endroits, les Allemands en profitèrent, dans la nuit du 15 août, pour tenter un coup de main qui leur réussit. « Le maréchal de Broglie se livrait au sommeil avec la même sécurité que s’il dormait dans son hôtel à Paris. Il y avait à peine deux heures qu’il reposait, lorsqu’il est réveillé en sursaut par un grand bruit d’armes et par les cris des combattants ; il se lève en diligence et veut se mettre en état de courir où le danger l’appelle ; il n’en a pas le temps, l’attaque avait été si imprévue et si bien combinée qu’après avoir forcé un faible détachement de cinquante hommes qui gardaient le gué, les ennemis passent la rivière, traversent son quartier et pénètrent jusqu’à sa tente. En chemise et ses culottes à la main, Broglie est trop heureux de se sauver et d’abandonner tout. Cette petite disgrâce, suite nécessaire de sa présomption et de son imprudence, fournit matière pendant quelques jours aux bons mots du soldat, mais comme sa bravoure n’était point équivoque, sa réputation n’en souffrit pas. » (Vie privée de Louis XV.) (R)
- 2Depuis maréchal de Montmorency. (M.) (R)
Raunié, VI,87-89 - Clairambault, F.Fr.12705, p.143 -Maurepas, F.Fr.12633, p.281-82 - F.Fr.12675, p.200-02 - F.Fr.15133, p. 333-34 -F.Fr.15137, p.200-02 - F.Fr.15140, p.3-5 - Arsenal 2932, f°158v-160r - Arsenal 2934, p.224-26 - Arsenal 3136, f°192 - BHVP, MS 548, p.179-81 - BHVP MS 554, f°367v-368r - BHVP MS 558, p.19-20 - BHVP, MS 658, p.152-55 - Mazarine MS 2166, p.308-09 - Mazarine Castries 3986, p.14-17