Aller au contenu principal

Dialogue du berger et de la bergère

La Bergère1

Soyez avec nous du voyage

Et nous contez

Le sujet de tant de ravage

De tous côtés.

Ce que c’est donc que cette guerre

Qui fait grand bruit,

Met le désordre sur la terre

Et la détruit.

 

Le Berger

Le peuple d’un certain empire

Choisit un roi ;

Un autre vient s’y faire élire

Malgré la loi ;

Les potentats du voisinage

Prennent parti

Et l’un contre l’autre font rage

Pour leur ami.

 

La Bergère

Sans ces débats nous menons paître

Tous nos troupeaux.

On ne songe à s’en rendre maître

Dans nos hameaux

Que pour les mettre en assurance

Par divers soins

Et fournir avec abondance

A leurs besoins.

 

Le Berger

On gouverne d’une autre sorte

Chez les humains ;

Rarement leur bonheur importe

Aux souverains ;

Conquérir la terre et puis l’onde

Est leur emploi.

Chacun d’eux voudrait que le monde

Fut tout à soi.

 

La Bergère

Hé, mon Dieu, la terre est si grande !

Sans se presser

Chacun, pour peu que l’on s’entende,

Peut s’y placer,

Y passer doucement sa vie

Loin du fracas

Et considérer sans envie

Ce qu’on n’a pas.

 

Le Berger

Les habitants d’un toit rustique

Sont ignorants

De ce qu’on nomme politique

Parmi les grands.

A nos yeux c’est une folie

De consentir

Aux maux dont la guerre est suivie

Pour s’agrandir.

 

La Bergère

On voudrait vivre mille années

Loin du danger

Toutefois on prend des journées

Pour s’égorger.

Ceux que nous voyons de la gloire

S’infatuer,

Pour aller vivre dans l’histoire

Se font tuer.

 

Le Berger

Les champs où croît la nourriture

Du genre humain

Pour en être la sépulture

Ouvrent leur sein

On n’y voit plus ni fleur éclose,

Ni fruit naissant

Lorsque la fureur les arrose

Avec le sang.

 

La Bergère

Tous les faiseurs de brigandages

Me semblent fous.

Nous sommes plus heureux, plus sages

Qu’ils ne sont tous.

Que l’on ait un berger fidèle,

Un joli chien,

Nous trouvons la vie assez belle

Sans autre bien.

  • 1 Noël fait à Sceaux par Madame du Maine et le marquis de Saint-Aulaire. On entend bien qu’il est question du royaume de Pologne et du roi Stanisals (M.).

Numéro
$5504


Année
1734 (Castries)

Auteur
Maine (duchesse du), saint-Aulaire (marquis de)



Références

Mazarine Castries 3986, p.136-40