Chanson sur la bataille d'Italie du 19 septembre 1734
Chanson sur la bataille d'Italie
du 19 septembre 1734
Or écoutez, petits et grands,
L’histoire d’un triste accident
Qui, quoiqu’il soit presque incroyable,
Est cependant très véritable.
En plein jour l’ennemi surprit
Toute une armée dedans son lit.
Les Français et les Allemands
S’entreparlant depuis longtemps
Tout au travers d’une rivière
Dans une confiance entière,
Chacun dormait tranquillement
Ou du moins faisait le semblant.
Le général de Konigseck
Qui avait toujours l’œil au guet,
N’apercevant gardes ni ronde,
Se dit, ma foi, tout me seconde.
Broglio, par trop confiant,
Profitons de l’heureux moment.
Il fit donner toute la nuit
Aux grenadiers poudre et biscuit.
Dans ce couvent il faut nous rendre.
Ce fut le quinze de septembre
Et quand la cloche sonnera
D’abord chez Broglie on entrera.
Près la maison du maréchal
Il y avait un interval
Entre Dauphin et Picardie,
L’allemande cavalerie
S’y plaça, disant au piquet
En bon français le mot du guet.
Sur les sept heures du matin
Sonna le réveil-matin.
Tout sortit en criant tue, tue.
Toute la garde en fut émue,
On réveilla le maréchal
Qui dormait sans songer à mal.
L’on tua, l’on fit prisonnier
Tout ce qu’on prit dans ce quartier.
Broglie comme un second Enchise
Se sauva tout nu en chemise
Tenant en main ses deux enfants,
Montrant le cul tout en fuyant.
Caraman pris, Beaumont tué,
Sur le trésor se sont rués
Ils ont pillé tout l’équipage
Du maréchal et le bagage
De quinze ou seize bataillons,
Brûlé quarante pavillons.
L’un pied chaussé, et l’autre nu,
Tout fuyait, se croyant perdu.
Mais Maillebois, Dervil, Berville,
Trois généraux des plus habiles,
Arrêtèrent ces pauvres fuyards,
Les rangèrent sous leurs étendards.
Ce jour fatal nous a coûté
Trois mille hommes, tout bien compté.
C’est une triste camisade
Dieu préserve de telle aubade
Et fasse que nos commandants
Soient désormais plus vigilants.
Pardonnez encor un repos
Si nous donnons dans leurs panneaux,
C’est que de trop près on regarde
On aime bien la sauvegarde,
Mais payer cher un espion
Ce n’est pas leur attention.
Voyez de quoi dépend le sort
D’un général qui trop tard dort.
Une petite négligence
De trois rois perdait l’espérance,
Si le projet de l’ennemi
Eût été vivement suivi.
Le seize, le Roi rassembla
Ce qui était par ci par là,
Fit ranger l’armée en bataille
Et dit : Voilà cette canaille
Qui nous a pris en trahison.
Bientôt de près nous les verrons.
Les soldats furieux, marris
D’avoir été ainsi surpris
S’excitaient tous à la vengeance :
Faites-nous prendre la revanche
Et nous ferons aux Allemands
Mordre la terre avec les dents.
Le dix-sept, l’armée marcha,
Ce qui restait on partagea,
L’un un habit, l’autre une veste.
A la queue Maillebois on mit
Qui vaillamment la défendit.
Le dix-huit, l’armée se campa
Sur Guastalla et Luzara.
Elle se rangea en bataille
Et le soldat sans pain ni maille
De battre brûlait de désir
L’ennemi qu'il voyait venir.
Le général de Konigseck
Pour mettre fin à ses projets
S’en alla dessus la rivière
Pour nous couper tous nos derrières,
Disant : les Français sont battus
Et pour le coup ils sont perdus.
Ce fut le dix-neuf à grand train
Sur les dix heures du matin
Que l’ennemi vint en colonne.
La trompette la charge sonne
Animant le coeur du soldat.
Il vole furieux au combat.
Un bruit terrible on entendit,
Et partout le sang rejaillit,
Le pistolet, le cimeterre
Faisant voler têtes à terre.
Des deux côtés ils s’acharnaient
Comme des dogues qui se mordraient.
Le Roi1
courait de rang en rang,
Criant partout : Courage, enfants,
Soutenons l’honneur de la France,
Mes piémontais à la vengeance,
Je vais combattre à vos côtés.
Nous vaincrons si vous m’imitez.
Que dire des carabiniers
Qui descendent de leurs coursiers
Voyant Auvergne fort en serre
Pour les défendre pied à terre,
Puis remontant sur leurs chevaux
Des cuirassiers font voir le dos.
A la gauche le général
Voyant le combat inégal,
Il y fit passer trois brigades
Qui leur donnèrent les aubades
Et des dragons à pied aussi
Qui repoussèrent l’ennemi.
Sept ou huit heures on s’est battu,
Bien attaqués, bien défendus.
Jamais on ne vit tel carnage.
Les soldats s’étranglaient de rage,
Les officiers et généraux
S’y comportèrent en héros.
Jusqu’à trois heures on se battait,
Ni qui gagnait, ni qui perdait.
Mais la droite ennemi battue,
En vain le reste s’évertue,
Il fallut céder à Biron
Le terrain et tout le canon.
Ce fut à cinq heures du soir
Que l’Allemand dit au revoir
Et tout à coup tourna les fesses.
Les Français les suivant sans cesse
Criant à présent désormais
A nous laisser dormir en paix.
Nous avons bien trois mille morts
Et trois mille blessés encor
Qui firent en tout plus de six mille.
Ce récit m’échauffe la bile.
Peste soit du grand général
Qui nous a causé tant de mal.
Si la victoire fait honneur,
Un tel carnage fait horreur.
Que Dieu par sa miséricorde
Aux trépassés pardon accorde.
Le Te Deum on chantera
Et tout de suite un libera.
- 1Le roi de Sardaigne.
Clairambault, F.Fr.1270, p.151-58 - Maurepas, F.Fr.12633, p.285-92 - F.Fr.13661, p.645-47 - F.Fr.15137, p.190-99 -F.Fr.15147, p.124-37 - Arsenal 2932, f°150v-157r - Arsenal 2934, p.14-223 - BHVP, MS 542, p.289-98 - BHVP, MS 658, p.144-51 - BHVP, MS 659, p.265-75 - Mazarine Castries 3986, p.33-40