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Ode sur la conquête des Pays-Bas

Ode sur la conquête des Pays-Bas1
Reine du temple de Mémoire,
Toi dont les chants ingénieux
Des héros consacrent la gloire
Et les rendent égaux aux dieux,
Guide le transport qu m’anime
Pour placer dans ce rang sublime
Le plus célèbre des humains ;
Ou s’il n’est point incomparable,
Du moins jamais mortel semblable
Ne fut couronné par tes mains.

Mais déjà ta flamme sacrée
S’empare de mes sens épris !
Et ma voix par toi rassurée
Se mêle à tes accents chéris !
Achève, et je vais de Pindare
Sans craindre la chute d’Icare
Essayer le vol fortuné
Et suivant l’ardeur qui me brûle
Faire voir un second Hercule
À tout l’univers étonné.

Dis comment ces fortes barrières,
Ces places, ces murs démolis
Ne défendent plus les frontières
Qui bornaient l’empire des lys.
Comment par lui, sous la puissance
Du maître qu’adore la France,
Tournai de se rendre est contraint ;
Et comment, malgré la Hongrie,
Il a subjugué la patrie
Et la maison de Charles-Quint.

Mais pour délivrer cette ville,
Un digne fils d’Albion
Part, et fit partir de son île
L’élite de sa nation.
Tel aux Grecs se livrant en proie
Hector prétendit devant Troie
Forcer le camp d’Agamemnon,
Ou tel égalant Thémistocle
Sous les coups du vaillant Patrocle
On vit tomber Sarpédon2 .

Oui, la fureur qu’il fit paraître
Le conduit au destin fatal
Du Romain qui trouva son maître
Pour n’avoir point souffert d’égal.
C’en est fait : la France invincible
Lève sur lui son bras terrible
À l’aspect heureux de son roi
Et dans son premier capitaine
Trouve un Fabius, un Turenne,
Trouve un Condé devant Rocroi3 .

Apprenez, mortels téméraires,
Vous qu’élève ou qu’abat le sort,
Que par lui les héros vulgaires
Sont entre la vie et la mort,
Et voyant l’art du guerrier sage
Vaincre la fortune volage
Qui jamais ne quitte son char,
Gravez dans votre âme trompée
Que la victoire sur Pompée
Était due à Jules-César4 .

Par la sagesse toujours ferme
L’orgueil est donc anéanti,
Et fait subir le même terme
Aux coeurs zélés pour son parti.
Jadis les enfants de la terre
Firent une semblable guerre
Aux puissants citoyens des cieux ;
Mais Jupiter remit sa foudre
À Mars qui réduisit en poudre
Ces petits ennemis des dieux.

Sous le beau laurier qui l’ombrage,
Dont le poids l’a presque abattu5 ,
Va-t-il donner à son courage
Du repos après la vertu ?
Non, son esprit que rien n’altère
Des honneurs rendus à Tibère
Ne se laisse point éblouir :
Ainsi le vainqueur de Carthage6
Eût cru perdre son avantage
S’il eût pris le temps d’en jouir.

Mais achevant cette merveille,
Que fait ce Scipion nouveau ?
Il commence, il est à la veille
D’un triomphe encore plus beau.
En cinq jours il réduit en cendre
Ces murs d’airain de qui la Flandre
Tirait sa force et ses trésors,
Et sous lesquels une furie7
Tint plus de trois ans l’Ibérie
Pour s’épuise en vains efforts.

En vain l’aquilon qui tout gèle
Éteint les feux de l’univers.
Pour lui toute saison est belle,
Et les lauriers sont toujours verts.
Quand tout tremble dans la nature,
Seul du temps il brave l’injure
Pour entrer au sein du Brabant
Et sous ses coups la capitale
De la province principale8
Tombe et traîne tout en tombant.

Et toi, cité si florissante,
Si fameuse par tes exploits,
À ses pieds soumise et tremblante,
Soudain tu demandes des lois,
Toi qui de Tyr digne rivale
En vainquant la force infernale
Et le tonnerre des canons
Eut la gloire avant de se rendre
D’arrêter un autre Alexandre
L’espace de quatre saisons.

Par deux héros du sang de France
Mons et Namur environnés
Vont être, malgré leur constance,
Aux mêmes fers abandonnés.
En vain le Batave timide
Sur l’Austrasien intrépide
Dans ces murs s’attend au besoin ;
Saxe rend ses vœux inutiles
Et la perte de ses villes
Le force d’être le témoin9 .

A quoi donc, superbes contrées,
Vous ont servi tous vos remparts ?
Et pourquoi, nations outrées,
Conspirez-vous de toutes parts ?
Ne savez-vous pas que l’histoire
De nos rois exalte la gloire
Par leurs progrès sur vos aïeux ?
Et faut-il combler vos misères
En vous instruisant que nos pères
Sont suivi par de plus grands qu’eux ?

Charles, plein des feux de Bellone,
Se présente aux champs liégeois10
Pour moissonner une couronne
Sur les cyprès de l’Albigeois,
Mais la vertu qui tout surpasse
Fait tomber en même disgrâce
Cet Alexandre des Germains
Et c’est ce héros si rapide
Qui des Français nouvel Alcide
En a fait de nouveaux Romains11 .

Mais de quel titre assez auguste
Revêtir un tel conquérant ?
Bourbon craint de paraître injuste
Pour n’en pas trouver d’assez grand.
Autrefois Rome au Capitole
l’honorant d’un culte frivole
Eût pour lui dressé des autels.
Mais Louis, plus éclairé qu’elle
Le fait chef, puisqu’il est modèle
De tous les héros immortels.

Envoi
Prince aimable autant que sublime,
Accablé d’éloges divers,
Souffre aussi l’encens légitime
Que t’offrent mon cœur et mes vers,
Et si tu crois que par mon style
J’ai mal crayonné ts vertus,
Songe que pour chanter Achille
Homère ne subsiste plus.

  • 1 A S.A.S. Mgr le comte de Saxe, duc de Courlande et de Semigalie, maréchal général des camps et armées du Roi.
  • 2Hector, le plus brave des Troyens, fut tué par Achille, le plus brave de l’antiquité. Sarpédon, frère de Minos, alla au secours de Troie avec son armée, et fut tué par Patrocle, compagnon d’Achille (M.).
  • 3Selon le parallèle de l’Académie, Turenne allait au-devant des causes pour empêcher les suites. Fabius jugeant bien des unes par les autres, n’attendait l’événement que pour attendre le succès. Condé occupé du présent, soumettait le passé et l’avenir à son intrépidité. Ces trois héros, si grands et si différents, se trouvent selon les cas réunis dans celui-ci (M.).
  • 4La journée de Pharsale, si funeste aux Romains, fut presque la même que celle de Fontenoy, si heureuse aux Français (M.).
  • 5Ce héros avait alors une maladie qui, quoique dangereuse, ne l’empêchait point de combattre, et dont la parfaite guérison a paru miraculeuse à la France, sans doute par sa juste crainte de perdre un homme si difficile à trouver (M.).
  • 6Scipion après avoir battu Hannibal à Capoue, alla droit à Carthage et prit la ville d’assaut qui fut pillée par les Romains pour gagner ce qu’ils avaient perdu à la bataille de Cannes (M.).
  • 7Les Espagnols, animés par le tribunal de l’inquisition, firent le siège d’Ostende vers la fin du seizième siècle. Il dura trois ans, trois mois et trois jours, et fut levé par la mort de Louis de Montmorency qui monta à l’assaut à la tête du régiment de son père alors malade. Ce jeune héros, qui fut abandonné des siens, s’immortalisa en mourant par une valeur non commune, mais ordinaire à tous ceux de son illustre maison (M.).
  • 8Bruxelles (M.).
  • 9Alexandre Farnèse, petit-fils de Charles-Quint, fut un an devant Anvers et fit construire sur l’Escaut pendant le siège un pont aussi fameux que celui des Romains sur le Rhône et semblable à la digue que fit Alexandre le Grand sur la mer, en assiégeant Tyr, par laquelle il joignit cette ville insulaire au continent (M.).
  • 10Bataille de Rocoux. (M.).
  • 11Les Romains qui depuis plus de 2000 ans ont servi de modèles à tous les guerriers, envieraient aux Français et à leur chef ce qu’il ont fait à la célèbre affaire de Rocoux, et leur histoire, toute glorieuse qu’elle est, ne fournit aucun trait si digne de l’immortalité (M.).

Numéro
$3358


Année
1748




Références

Maurepas, F.Fr.12650, p.17-24 - F.Fr.13659, p.347-54