Sans titre
Quand notre Roi fut certain
Que son ennemi lorrain1
Venait de passer le Rhin,
Il en parut bien chagrin.
Sur son front il mit la main
Ainsi qu’un homme incertain2 .
Puis, ayant pris son parti,
Il dit, je pars aujourd’hui.
Seckendorf3 est un fripon,
Un animal, un poltron
Qui trahit son maître et moi,
Montrons-lui que je suis Roi.
Saxe, gouvernez céans
Mes bons sujets les Flamands4 .
Estimé de mes soldats,
Conduisez-les aus combats.
Ils ont confiance en vous,
Soyez leur affable et doux.
Suivez-moi, tous mes parents,
Courons sus aux Allemands.
Sur ma parole de Roi
J’en suis sûr, et croyez-moi,
Ils repasseront le Rhin
Ou j’y perdrais mon latin.
Adieu donc, Madame5 , adieu.
L’amour ici n’a plus lieu.
Si je retourne vainqueur,
Je vous verrai de bon cœur.
Mais, Madame, en attendant
Invoquez le Tout-puissant.
Sire, je ne le peux pas,
Je vous suivrai pas à pas.
Oui, je mourrais de douleur
Si je vous quittais, Seigneur.
Au retour de vos combats
Vous serez entre mes bras.
Madame, hé bien, j’y consens ;
Venez chez les Allemands,
Mais ne vous attendez pas
Qu’en faveur de vos appas,
Et que pour vous ou pour moi,
Je manque au devoir de Roi.
- 1Le Prince Charles de Lorraine, commandant les troupes de la Reine d’Hongrie.
- 2Lorsque le Roi reçut à Dunkerque la nouvelle du passage du Rhin, il demeura pendant quelque temps interdit et se mit à rêver en se frottant le front, puis, revenant comme à lui-même, il résolut sur-le-champ de se transporter en Alsace avec un puissant secours.
- 3Général de l’Empereur. On a prétendu qu’il avait reçu de l’argent du Prince Charles pour le laisser passer le Rhin sans y mettre aucune opposition.
- 4Le maréchal comte de Saxe est resté par ordre du Roi en Flandres avec la carte blanche.
- 5Madame de Châteauroux, auparavant Madame de la Tournelle.
Mazarine Castries 3988, p.392-94