Sans titre
Je compare les actions
À tous ces superbes salons
Que l’on a fait pour la Dauphine1 .
Hier chacun était gavé
Et tel qui ruait en cuisine
Est aujourd’hui sur le pavé.
Dans ces magnifiques palais
Pour danser au plus les laquais,
Les porteurs d’eau, les harengères,
Et les décrotteurs de Paris
Pourront avec les lavandières
Y trouver les jeux et les ris.
Pour moi, qui pleure amèrement
La perte de mon pauvre argent,
Qui ne touche ni sou, ni maille,
Je dis au prévôt des marchands :
Vous divertissez la canaille
Aux dépens des honnêtes gens.
Si pour payer nos actions,
Vous eussiez mis ces millions,
Qu’il en coûte à votre entreprise.
On aurait béni votre nom,
Au lieu qu’on pleure la sottise
De vos bâtiments de carton.
Monsieur le Prévôt des marchands,
La foi c’est se moquer des gens,
Quand chacun est dans la misère
De dépenser tout notre argent
Pour faire au peuple bonne chère,
Et tout ce fracas pour néant.
- 1Sur les trois superbes salles qui ont été construites à Paris pour faire danser le peuple les trois derniers jours gras. Ces salles contenaient d’entreprise environ vingt-cinq perches, à ce que j’ai pu juger par les trois que j’ai vues : celle de la place Dauphine, celle du carrousel et celle de la rue Saint-Antoine. Il y en avait quatre autres. La quantité de bois de charpente qu’il a fallu pour ces salles est immense. Des planches bien jointes composaient le parquet et les plafonds étaient faits de toile de coton blanche comme neige. Les piliers qui soutenaient la charpente, au nombre de cinquante, étaient ornés de sculpture et de peintures charmantes, et le tout était couvert d’une grosse toile et par-dessus d’une autre toile cirée en couleur d’ardoise. On y a distribué au peuple, outre les fontaines de vin, une quantité innombrable de dindons, de chapons, de langues fourrées de cervelas et autres rafraîchissements avec profusion, et j’ai ouï dire que chaque salle, tout compris, coûterait un million. Quelle prodigalité !
Mazarine Castries 3989, p.120-22