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Les Francs-maçons

Les francs-maçons1
Des francs-maçons,
Chantons le mérite et la gloire,
Des francs-maçons ;
Ce sont de fort jolis garçons
Qui ne s’unissent que pour boire ;
Là se réduit tout le grimoire
Des francs-maçons

L’égalité,
Chez eux préside en souveraine ;
L’égalité,
Charme de la société,
Et par une suite certaine,
L’aimable liberté qu’amène

Sans nul égard
Du haut rang ni de la noblesse,
Sans nul égard
De la science ni de l’art,
Ce n’est qu’en frère et par tendresse
Que l’un à l’autre on s’intéresse,
Sans nul égard.

Contre eux pourtant,
Il est un point qui m’indispose
Contre eux pourtant ;
C’est ce secret qu’ils vantent tant.
Il faut être, amis, bouche close ;
Mais trop d’excès fait que l’on glose
Contre eux pourtant.

Dans leurs repas,
Demandez-leur ce qui se passe
Dans leurs repas,
Choses qui ne se disent pas ;
Preuve, dit-on, que la fricasse
Ne tient pas la première place
Dans leurs repas.

Hé ! Qu’est-ce donc ?
Demande-t-on avec surprise,
Hé ! Qu’est-ce donc ?
Semblable secret ne fut onc,
Si ce n’est pas en donnant prise ;
Pour éviter une méprise,
Hé ! Qu’est-ce donc ?

Sous ce secret,
Que d’horreur chacun imagine
Sous ce secret ;
C’est bien à tort être discret.
Moi-même, plus je l’examine,
Plus je trouve mauvaise mine
Sous ce secret.

De leur destin,
Si l’on faisait juges les damnés
De leur destin,
Ils auraient bientôt triste fin,
Par elles condamnés aux flammes ;
Bientôt riraient les saintes âmes
De leur destin.

Par trop d’excès,
C’est pourtant être ridicule
Par trop d’excès,
Que de faire ainsi leur procès,
Quand rien contre eux on n’articule
Tout jugement contre eux s’annule
Par trop d’excès.

En gens sensés,
Le reproche qu’on peut leur faire,
En gens sensés,
C’est qu’ils ne le sont point assez.
En se piquant d’un grand mystère,
Eux-mêmes n’ont pas su se taire
En gens sensés.

Quoi qu’il en soit,
Pour eux je me réconcilie,
Quoi qu’il en soit ;
C’est assez qu’avec eux l’on boit ;
Je fais plus, si l’on m’en défie,
Avec eux soudain je me lie,
Quoi qu’il en soit

En gens d’esprit,
Ils se servent d’une chimère
En gens d’esprit,
Pour fournir à leur appétit.
Dupés, ils dupent maint confrère,
Et par là font souvent grand’chère,
En gens d’esprit.

Qu’est-ce, en effet,
Que toute leur forfanterie ?
Qu’est-ce, en effet,
Que ce mystérieux objet
D apparente maçonnerie ?
Si ce n’est pure momerie,
Qu'est-ce, en effet ?

Cet appareil
De gants, tabliers et truelles,
Cet appareil
D’ordre, de signes, de conseil,
D’un sot enchante la cervelle,
Presque on dirait qu’il ensorcelle
Cet appareil.

Ainsi grossit,
Cette nouvelle confrérie
Ainsi grossit ;
Contre elle échouerait un édit.
Tout abus, quoique l’on en crie,
Fonde sur l’humaine folie,
Ainsi grossit.

Chers francs-maçons,
Si je vous blâme en apparence,
Chers francs-maçons,
Vous n’êtes pas moins bons garçons.
Vous savez vous remplir la panse ;
Ce seul trait de tout vous dispense,
Chers francs-maçons.

 Conclusion,
Si je vous taxe d’un vain leurre,
Conclusion,
Ordonnez ma réception ;
En me rendant au jour, à l’heure,
Pourrais-je vous donner meilleure
Conclusion ?

  • 1« Nos seigneurs de cour ont inventé tout récemment un ordre appelé des Freemassons, à l’exemple de l’Angleterre où il y a ainsi différents ordres particuliers ; et nous ne tardons pas à imiter les impertinences étrangères. Dans cet ordre‑ci étaient enrôlés quelques‑uns de nos secrétaires d’État et plusieurs ducs et seigneurs. On ne sait quoi que ce soit des statuts, des règles et de l’objet de cet ordre nouveau. Ils s’assemblaient, recevaient les nouveaux chevaliers, et la première règle était un secret inviolable pour tout ce qui se passait. Comme de pareilles assemblées aussi secrètes sont très dangereuses dans un État, étant composées des seigneurs, surtout dans les circonstances du changement qui vient d’arriver dans le ministère, M. le cardinal de Fleury a cru devoir étouffer cet ordre de chevalerie dans sa naissance, et il a fait défense à tous ces messieurs de s’assembler et de tenir de pareils chapitres. » (Journal de Barbier.) - Barbier a tort de considérer la franc-maçonnerie comme une invention des seigneurs de la cour ; c’était une importation d’origine anglaise. L’ordre des francsmaçons, que l’on fait d’ordinaire remonter à Hiram, architecte du temple de Salomon, ne fut introduit en France que vers 1725 par des Anglais, qui fondèrent la première loge dans la maison d’un cuisinier de la rue des Boucheries. C’est l’élection du grand-maître en 1737 qui appela sur l’ordre l’attention de la police et provoqua l’interdiction prononcée par le cardinal de Fleury. (R)
    (R)

Numéro
$0851


Année
1737




Références

Raunié, VI,174-79 - Clairambault, F.Fr12708, p.119-21 - F.Fr.15231, f°232r-233r -F.Fr.15148, p.117-26 -  BHVP, MS 659, p329-32 - Barbier-Vernillat, III, 131-34