Chanson nouvelle
Chanson nouvelle1
Sur l’air Faut pas faire ça, petit badin
L’autre jour l’abbé de La Porte
Disait : « Je vais faire un journal,
Et je prétends qu’il me rapporte,
Car j’y dirai beaucoup de mal.
Ce sont pour moi des friandises. »
Quelqu’un lui répondit soudain :
« Faut pas faire ça, petit vilain,
Faut pas faire ça, sont des sottises. »
Pour mettre une petite chose
D’esprit dans mes extraits divers,
Mégan me fera de la prose,
Et l’abbé L’Attaignant des vers.
Avec de telles marchandises
Mon succès sera bien certain.
Faut pas croire ça, petit vilain,
Faut pas croire ça, etc.
Je louerai l’Opéra-Comique,
La Graffigny, Piron, Duclos,
La merveille encyclopédique,
Les D’Alemberts, les Diderots,
Toutes leurs œuvres sont exquises,
Et le public les siffle en vain.
Faut pas dire ça, petit vilain, etc.
Fréron me donnait de quoi vivre
Fort à mon aise, tous les ans.
Pour lui brocher l’extrait d’un livre,
J’avais quatre bons mille francs.
Il ne veut plus mes analyses,
C’est un malheureux, un coquin.
Faut pas dire ça, sont des bêtises.
Si l’Observateur littéraire
N’a pas le succès que j’attends,
Je sais ce que je pourrai faire,
Je ferai valoir mon argent.
Pour avoir bourse rebondie,
Usurier vaut mieux qu’écrivain.
Faut pas faire ça, petit vilain,
Faut pas faire ça, c’est de l’infamie.
Eh bien, pour me tirer de presse,
Il faudra vendre La Morin.
C’est ma cousine et ma maîtresse,
Elle sera mon gagne-pain.
Oui, j’en ferai la bonne amie
De quelque riche libertin.
Faut pas faire ça, c’est de l’infamie.
Si ces métiers de toute espèce
Ne me font pas vivre à gogo,
Chez La Paris j’ai dit la messe,
J’y reprendrai l’introïbo,
Vingt fois par jour, j’y serai prêtre,
Raynal m’a montré le chemin.
Faut pas faire ça, petit vilain,
Faut pas faire ça, gare Bicêtre.
- 1Voici les deux réponses [à $1187] qui viennent sans doute de quelques amis de Fréron ou de lui-même. (M.)
CLK, août 1758, t.I, p.361