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Arrêt du Conseil d'Apollon rendu au sujet d'un ouvrage intitulé le Prince de Noisy, comédie héroïque, en trois actes, avec les intermèdes.

Arrêt du conseil d’État d’Apollon

Qui supprime l’ouvrage intitulé

Le prince de Noisy, comédie héroïque

Apollon ayant été informé de la représentation d’une comédie qui a pour titre Le Prince de Noisy, comédie héroïque, dans laquelle on aurait inséré la substance d’un prologue et de trois divertissements, Sa Divinité aurait jugé à propos de la faire examiner dans son Conseil, et il n’a pas été difficile de reconnaître que l’esprit général de cet ouvrage est d’attaquer les premiers principes du bon sens et de diminuer le respect du public pour le vrai comique qui, résidant tout entier dans la seule personne de Molère, en maintient depuis tant d’années, la grandeur et la félicité.

Que pour altérer, s’il était possible, cette unité de sentiments qu’on a pour les ouvrages de ce grand homme, l’auteur n’a pas craint d’avancer que, suivant les constitutions et les règles de la comédie, les divertissements en forment le véritable caractère, et que si la pièce du Misanthrope n’a pas réussi, c’est parce qu’elle était privée de ces vains ornements, qui ne sont tout au plus tolérables que dans les pièces de Romagnesi, mais que tous nos poètes, instruits des règles de la comédie, et fidèles à celui qui en est l’auteur, seraient sans doute bien éloignés d’adopter ; et quand même on en réduirait l’effet à ce qui regarde le plaisir du public, ce serait toujours une entreprise criminelle de vouloir faire entendre que le vain amusement des chants et des danses est le fondement de ce plaisir suprême, que le parterre a si souvent reconnu lui-même ne tenir que du beau seul.

Que par une témérité aussi inexcusable, l’auteur affecte de faire revivre dans ses ouvrages les fades plaisanteries de Baïf et de Jodelle, en mettant dans la bouche de ses acteurs des expressions que les capitans de nos anciennes comédies n’auraient osé prononcer.

Qu’indépendamment de ces traits, qui montrent très clairement le caractère impertinent de cet ouvrage, on n’y remarque ni conduite ni vraisemblance. Une princesse insensible devient amoureuse à la première vue d’un prince, à qui elle déclare sur-le-champ son amour, sans observer les règles de la bienséance ; un géant qui veut coucher tout botté avec sa maîtresse, un chasseur langoureux, un druide lamentable, un couteau qui parle ; point de noblesse dans les sentiments, point de pensées ; enfin un bas et un trivial indigne même de la Comédie-Italienne et de la Foire.

Que l’Auteur même a osé avancer cette proposition générale que le Public doit écouter tranquillement toutes les sottises d’un Auteur, et qu’il a voulu même se servir de la force pour la faire exécuter ; proposition qui ne serait pas approuvée dans les lieux mêmes les moins respectables et qui est absolument intolérable dans une Comédie, puisqu’en dépouillant le parterre de la plus brillante de ses qualités, qui est celle de Réformateur, elle le réduit à ne pouvoir traiter que d’égal à égal avec les Auteurs, et l’expose par conséquent à recevoir la loi de ceux même à qui il la doit donner.

Enfin, que par une suite du même esprit qui règne dans tout le corps de cet ouvrage, les Comédiens n’y sont pas plus ménagés que le Public, et que le mauvais qui y est répandu, tend également à le révolter contre la Comédie et à diminuer l’amour qu’il aurait toujours eu pour elle jusqu’à présent.

Sa Divinité, qui se doit à Elle-même et à ses vrais sujets la conservation du bon goût, ne saurait faire éclater trop promptement sa sévérité contre un écrit où il est si ouvertement attaqué, et si elle ne la porte pas d’abord aussi loin que l’importance de la matière peut l’exiger, c’est parce qu’elle ne peut douter que celui qui paraît avoir fait cette comédie, reconnaissant lui-même avec indignation la sottise qu’il a faite, ne se hâte de la réparer, ou par un désaveu formel, ou par une prompte et parfaite suppression, qu’il doit regarder comme le seul moyen qui lui reste pour fléchir Sa Divinité et désarmer la rigueur de sa justice.

À quoi étant nécessaire de pourvoir, Sa Divinité étant en son Conseil, a ordonné et ordonne que la comédie qui a pour titre Le Prince de Noisy sera et demeurera supprimée, comme contenant des maximes contraires au bon sens et à la véritable Comédie, et à troubler la tranquillité publique. Que l’original de ladite pièce sera incessamment rapportée au greffe de Momus, son lieutenant général de police, qu’elle a commis à l’effet des présentes, pour y être lacéré, brûlé et incendié. Fait Sa Divinité très expresses inhibitions et défenses à tous ses sujets de quelque esprit qu’ils puissent être, de retenir, ni débiter aucuns extraits de ladite Comédie, à peine d’être déshonorés publiquement. Ordonne que les rôles seront remis dans le jour par les Comédiens au greffe dudit Momus, et que le Gascon qui s’en est avoué auteur, sera tenu dans le jour de la signification qui lui sera faite du présent Arrêt, pour ne lui pas donner le temps de la réflexion, de désavouer ladite Comédie, ou d’en nommer le véritable Auteur, et de supprimer et retirer lui-même ladite pièce, qui demeurera comme non avenue ; et faute par lui d’y satisfaire, l’avons toujours par provision interdit de toutes fonctions d’Auteur en vers ainsi qu’en prose, avec injonction de ne travailler à l’avenir que pour les marionnettes du Sieur Bienfait. Enjoint à Momus de veiller à l’exécution du présent. Donné au Parnasse, le 5 novembre 1730.

 

Numéro
$4339


Année
1730




Références

1754, V,59-63 - F.Fr.10475, f°331-333 - Clairambault, F.Fr.12700, p. 281-84 - F.Fr.25570, p.601-04 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°93r-94v - Mazarine, 3971, p.435-46 - Arsenal 2976, p.140-43 -  Lille BM, MS 64, p.230-39


Notes

Pour l'explication du procédé, voir $4338