Réconciliation de Rousseau avec ses ennemis
Réconciliation de Rousseau avec ses ennemis
Oui, pour mourir dans ma patrie
Je chante la palinodie1 .
Vous à qui j’ai porté les traits les plus sanglants
Par des écrits trop vrais, mais ressemblants,
Avec vous désormais je me réconcilie.
Venez, Chrysologue2 et Midas3 ,
Venez, grands officiers du Parnasse et goujats.
[Et vous, sot prédicant, plus traitre que Judas4 ,]
Approchez, que je vous embrasse.
Mais j’oubliais le poète Autreau5 ,
Lui dont la misère et la crasse
Sans le secours de son pinceau
D’un gueux au naturel font un parfait tableau.
Pardon, ami, je croyais ta carcasse
Depuis longtemps gisante au monument,
Ou, pour parler plus poétiquement,
Je te croyais reclus dans le sombre Tartare
Avec le petit abbé de Pont,
Maître La Faye, et le glacé Pindare6
Dont le souvenir me morfond.
Oh ! Créateur des mondes, Dieu vous gare,
Je suis charmé de vous revoir ici.
Ma foi, je vous croyais aussi
Bien et dûment cloué, reposant à Clamart7 .
Quel est donc ce fumeur qui s’offre à mes regards ?
Il paraît, à ses yeux hagards,
Ne respirer que le meurtre et l’inceste.
Vraiment, je le remets, c’est l’auteur de Thyeste
Qui vous promet Catilina
Et qui longtemps le promettra8 .
Viens frère en Apollon, viens à l’estaminette,
Nous fumerons et nous boirons canette,
Nous y trinquerons, si tu veux,
Au bel esprit bilieux9 ,
Qui de son cerveau frénétique,
Contre les règles du bon sens,
A fait éclore les cinq sens
Et la grâce mélancolique.
Eh ! Bonjour père Nitétis10
Qu’as-tu fait de Déidamie11
Et du vaillant fils de Thétis ?
Réponds ; la cabale ennemie
Les aurait-elle, en sa mauvaise humeur,
Envoyé paître avec le rimeur ?
Oui, sur ta physionomie
Je lis leur condamnation.
Console-toi, telle manie
Fait voir la dépravation
Du goût de notre nation12 .
A propos de bon goût, qu’est devenu le sire
Qui dans le fond de son délire
Des auteurs les plus excellents
Voulut apprécier, à son goût, les talents,
Et s’érigeant en maître du Parnasse
A chacun assigna sa place13 ?
Belle demande ! Il court le loup garou,
Et maintenant il est je ne sais où.
Dieu lui fasse miséricorde
Et lui donne avec du bon sens
Ainsi qu’à vous, mes chers enfants,
Repos, santé, joie et concorde.
- 1Il était retourné à Paris, nonobstant son bannissement, à la sollicitation des jésuites, qui le trompèrent vilainement et l’abandonnèrent (M.).
- 2L’abbé Bignon (M.).
- 3Le maréchal de Noailles (M.)
- 4Saurin (M.).
- 5Autreau qui a fait plusieurs jolies comédies françaises et italiennes et la fameuse complainte contre Rousseau. Il est peintre et poète (M.).
- 6La Motte (M.).
- 7Cimetière de l’Hôpital [où étaient enterrés les condamnés à mort] (M.).
- 8Crébillon père.
- 9Roy a fait le Ballet des sens et celui des Grâces, qui n’ont pas réussi (M.).
- 10Danchet (M.).
- 11Opéra de Danchet (M.).
- 12Expression de Danchet sur la chute de son dernier opéra (M.).
- 13 Voltaire, auteur du Temple du goût.
Raunié, VI,155-58 - Clairambault, F.Fr.12707, p.109-11 - Maurepas, F.Fr.12634, p.183-85 - La Haye, KHA, A17-187, I (annexe à la livraison du 22 février 1737) - F.Fr.13694, f°251r-253r -F.Fr.15148, p.254-58 - N.A.F 1909 - Arsenal 3128, f°279 - Lettres de M. de V***, p.164-67 - Le Magazin I, p.69-71 - BHVP, MS 659, p.45-48
Edition et commentaire dans Van Strien, p.309-14