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Relation de l'horrible attentat

 

Relation de l’horrible attentat commis par Etienne de Lyon

en la personne de son frère aîné Benoît de Lyon, le 26 juin 1763,

et de l’arrêt du parlement exécuté à Lyon le 9 mars 1764

Dedans la ville de Lyon

Naquit Etienne de Lyon

Qui a fait l’action la plus noire

Dont on puisse avoir mémoire.

Je vais la raconter ici.

Tremblez et frémissez aussi.

 

Il avait été chapelier.

Trop fier pour souffrir le tablier

Il entreprit une fabrique

De vitriol, leva la boutique

Dans laquelle ce maître fou

Crut avoir trouvé le Pérou.

 

Il va ensuite à Saint-Chamond

Pour y épouser un démon,

Une folle et une impudente,

Une insolente, une arrogante,

Qui avait plus de vanité

Qu’une femme de qualité.

 

Étant de retour à Lyon,

Fier cette acquisition,

Au lieu de loger à la halle,

S’est logé à la Place royale,

Vivant délicieusement

Et meublé magnifiquement.

 

Il recherchait les meilleurs mets,

Ne fréquentait que des plumets,

Quatre chevaux à l’écurie,

Bals, cabriolets, coterie,

Enfin tous les amusements

Et tous les divertissements.

 

Réfléchissant que ce beau trait

Aurait un fort mauvais retrait,

Pour continuer cette danse

Et fournir à cette dépense,

Il se mit au jeu, où l’on sait

Qu’il devint un escroc parfait.

 

Tout cela ne suffisant pas,

Il s’avisa d’un autre cas ;

Il prit le dessein téméraire,

Pour avoir le bien de son père,

D’assassiner son frère aîné

A qui son père l’eût donné.

 

Pour accomplir ce noir dessein,

Ce perfide, cet assassin,

Dans la fureur qui le domine

Fait une infernale machine

Pour aussi vite qu’un éclair

Faire sauter son frère en l’air.

 

Le tout étant bien achevé,

Sa femme l’ayant approuvé,

Il fait porter cet artifice

Par un décrotteur sans malice

A son malheureux frère aîné

Chez son cousin l’après-dîné.

 

Le pauvre diable ainsi trompé

Se vit hélas ! bien attrapé,

Quand sitôt faisant l’ouverture

Il fut tout couvert de brûlure,

Le corps, le visage et les mains,

A faire frémir les humains.

 

Après cet horrible attentat,

Le voyant dans ce triste état,

On court en avertir le père

Qui dit : je ne m’en soucie guère,

Mon aîné s’est mal comporté,

Il a ce qu’il a mérité.

 

Mon cadet, mon fils bien-aimé,

De mon propre sang est formé,

Et l’autre est du sang de ma femme.

C'est un maraud, c’est un infâme

Qui m’a mangé beaucoup de bien

De la façon que l’on sait bien.

 

Le juge a pourtant décrété

Que son cadet fût arrêté.

Ce traître pour couvrir son crime

Fait voir une lettre anonyme

Qu’il avait fait assurément

Pour éviter le châtiment.

 

On l’interroge, il nie tout,

Croit mettre les juges à bout,

Mais on le convainc à la roue

Où il aurait bien fait la moue.

Nous l’aurions vu certainement

Sans son appel au Parlement.

 

On le traduisit à Paris,

Son père faisant les hauts cris.

On y conduit sa femme indigne

Qui dans le crime l’a porté

Comme on n’en a jamais douté.

 

On l’interroge de nouveau,

Mais ayant bien dans son cerveau

Tous les moyens pour sa défense,

Il répond avec assurance

Et sans faire aucunes façons

Car il savait bien sa leçon.

 

Ce coquin, ce monstre effronté,

A la question a résisté,

Protestant de son innocence

Avec la dernière impudence.

Il n’a eu pour tout châtiment

Que le fouet et flétrissement.

 

Malgré son retour imprévu,

Ses parents à tout ont pourvu

En répandant maintes pistoles

Pour faire ménager ce drôle

Qu’on a fouetté bien doucement

Et marqué très légèrement.

 

Le bourreau qui fut son voisin

L’a traité comme son cousin,

Ayant trempé, je vous assure,

Son fouet dans un sirop de mûres

Afin qu’il parût écorché

Et que le peuple en fût touché.

 

Le tout ainsi exécuté,

Après être fouetté, marqué,

On le va conduire aux galères

Où il trouvera des confrères

Pour qu’il puisse dire aujourd’hui

Voir plus honnêtes gens que lui.

 

Si ce traître n’est pas content,

Ce n’est pas qu’il soit repentant ;

S’il a quelque chagrin dans l’âme,

C’est qu’on a découvert sa trame,

S’il en a quelques remords,

C’est que son frère n’est pas mort.

 

Le père dit tout triomphant,

Enfin j’ai sauvé mon enfant.

Il croyait pour venger son crime

De lui faire rompre l’échine.

Les Lyonnais sont bien étonnés

Et lui font un beau pied de nez.

 

Il m’en coûte quelques ducats,

Mais j’ai eu de bons avocats

Qui ont tiré mon fils d’affaire

Et quoiqu’on l’emmène aux galères,

De l’argent il m’en coûtera,

Mais bientôt il en sortira.

 

Messieurs, vous conviendrez pourtant

Qu’il fait bon avoir du comptant ;

Il sauve les plus exécrables,

Ce qu’on voit par ce misérable.

Grand Dieu ! que l’argent a d’appas ;

Avec lui, que ne fait-on pas ?

 

Les gens de bien, les gens bien nés

Sont interdits, sont consternés

Que ce monstre, cet homicide,

Ce scélérat, ce fratricide,

Ce perfide, ce débauché

En soit quitte à si bon marché.

 

Prions le Seigneur cependant

Qu’il nous préserve d’accident,

Que les juges inexorables

Fassent bien punir les coupables,

Car s’ils souffrent l’impiété,

Nous n’avons plus de sûreté.

 

Numéro
$6338


Année
1764




Références

Lyon BM, MS 6160


Notes

Voir aussi $6339