Sans titre
Or écoutez, grands et petits
Le plus sommeillant des récits1 ,
D’un grand docteur en médecine
Couru par sa grande doctrine
Qui pourtant rit tout le premier
De l’incertain de son métier.
En mil sept cent quarante-six
Auprès de son malade assis
L’esculape qu’un somme obsède
En rêvant à quelque remède
S’endormit si profondément
Qu’on l’eût réveillé vainement.
Le bonhomme s’était campé
De son long sur un canapé
Dans une ruelle assez sombre.
Ses rideaux le mettaient à l’ombre
Et si longtemps il sommeilla
Qu’on oublia qu’il était là.
Le pauvre malade mourut ;
La garde l’annoncer courut
Dans une autre chambre on l’emporte,
On met le scellé sur la porte,
Puis on le met sur carreau ;
Enfin on l’emporte au caveau.
Malgré les chants, malgré le bruit,
Qu’en enlevant le corps on fit,
Rien ne put éveiller notre homme.
Tout était dans un profond somme.
Il y fut jusqu’au lendemain
Qu’il fut réveillé par la faim.
Il veut du premier mouvement
Tâter le pouls du patient.
Mais il ne rencontre personne.
Un tel événement l’étonne !
Il court à la porte aussitôt,
Il frappe, il appelle fort haut.
Il a beau crier au plus fort,
Pas une âme à ses cris ne sort.
Que faire ? Il ouvre la fenêtre
Et voit certain quidam paraître
Qui gagne aux pieds en le prenant
Dans ce lieu pour un revenant.
Un autre passant, moins surpris,
Dit : le scellé, Monsieur, est mis.
Je vais appeler la justice
Et le maître de la police.
Mais il revint dessus ses pas :
Marville chez lui n’était pas.
On courut chez le pâtissier
De pâtés emplir un panier.
On les jette vers la fenêtre,
Mais pas un dedans ne pénètre.
Dumoulin en vain tend les bras :
Tous les morceaux tombent en bas.
Enfin, comme on en était là,
Monsieur de Marville arriva.
On lâcha le pauvre esculape,
Des fragments de pâté il happe,
Et les avale sans mâcher,
De faim ne pouvant plus marcher.
Suivit une indigestion
Et grande indisposition.
Il vomit sortant de la porte,
En chaise à porteurs on le porte
Où l’on dit qu’il fit le serment
De n’être plus trouvé dormant.
- 1Sur une aventure arrivée à M. Dumoulin, fameux médecin, qui fut mis sous le scellé s’étant endormi chez un de ses malades à Paris, où il pensa mourir de faim par la difficulté qu’il y eut de lever le scellé ce mois de janvier.
Mazarine Castries 3989, p.198-201