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Le Lynx. Fable

                           Le lynx1
Au milieu des travaux où brille ta prudence,
Hérault, je te demande un instant d’audience.
Daigne me l’accorder et souffre que ma voix
Loin du monde et du bruit t’appelle dans les bois.
D’autres, pour acquérir l’honneur de ton estime,
Pourront avec éclat prendre un effort sublime.
Mon style manque d’art, mais sa simplicité
Fait rendre à la vertu ce qu’elle a mérité.
Certaine chronique rapporte
Que, dans une forêt pleine d’oiseaux divers
Et d’animaux de toute sorte,
Entra jadis l’esprit pervers ;
Aussitôt les larcins, les meurtres, le carnage,
Les trahisons, le brigandage,
Y vinrent déployer leur coupable fureur.
La raison du plus fort emportait la balance,
Le vice triomphait, la timide innocence
Perdait ses soupirs et ses peines.
Sultan lion, dont l’âme généreuse
Souffrait avec chagrin de pareils attentats,
Résolut d’extirper du sein de ses États
Cette licence dangereuse.
Pour remplir un projet si beau,
Il se servit du ministère
D’un lynx qui suivait le flambeau
De l’équité la plus austère.
A son aspect les crimes confondus
Cherchèrent en vain un asile ;
Sa vigilance et ses soins assidus
Rendirent la forêt tranquille.
Le pigeon du vautour méprisa la fureur
Et l’innocent agneau vit le loup sans terreur.
Sage magistrat, cette fable
N’a point l’obscurité des énigmes du Sphinx.
Paris de son repos à tes soins redevable
Verra facilement que ma Muse équitable
Ne songeait qu’à toi seul, en dépeignant le lynx.

  • 1Autre titre : A M. Hérault, conseiller d'Etat, lieutenant général de police. (Clairambault)

Numéro
$0756


Année
1731




Références

Raunié, V,295-96 - Clairambault, F.Fr.12701, p.191-92 - Maurepas, F.Fr.12632, p.387-88