Fable
Fable
Dans une ferme d’importance
Un berger gouvernait plusieurs troupeaux nombreux.
Il avait sous sa dépendance
Les bergers d’alentour et des pâtres sous eux.
Cet illustre berger avait un chien d’élite,
Très chéri des brebis et très haï des loups.
Chacun rendait justice à son rare mérite.
Dans le silence de la nuit
Entendait-il le moindre bruit,
Alerte et plein de vigilance
Il allait bravement s’exposer aux hasards
Avec une entière assurance.
S’il voyait des moutons épars
En de trop vastes pâturages
S’égarer du troupeau, s’éloigner des plus sages,
Il allait vivement les mettre à leur devoir.
C’était le meilleur chien qu’un berger pût avoir.
Contre lui les loups pleins de rage,
Ayant instruit un chien politique et menteur,
Firent insinuer par ce malin flatteur
A deux petits bergers d’un fort lointain village
Que ce chien qu’on vantait beaucoup
Etait assurément un loup ;
Qu’il en avait le poil, la démarche et la taille ;
Que s’ils n’y prenaient garde, il viendrait quelque jour
A leurs brebis livrer bataille
Quoiqu’il fût loin de leur séjour.
Ces bergers sans esprit, couple ignorant et fruste
Sans en avoir rien dit à ce berger illustre
Etant poussé par le mâtin
Dans la ferme avec insolence
Se rendirent un beau matin
Pour assommer le chien, des troupeaux la défense,
Prétendant qu’il était un loup très dangereux.
Nos deux champions valeureux,
Armés de leurs simples houlettes,
Lui lancent quelques faibles coups,
Lorsqu’ils furent raillés de tous
Car n’osant approcher qu’en tremblant et de loin
De cet ennemi redoutable,
Qui, tranquille, bravait ce dessein pitoyable
En frappant au hasard sur la paille et le foin.
Leurs houlettes bientôt en leurs mains se cassèrent
Et le berger fameux méprisa ces rustauds
Qui, tout surpris, s’en retournèrent,
Applaudis seulement de certains francs nigauds
Qui de lâches flatteurs faisaient le personnage,
Et vantant de ces preux la force et le courage
En ont fait des héros parfaits et triomphants,
Toujours avec sagesse et succès combattant.
Aussi nos deux guerriers chez eux ont été dire
Qu’ils avaient assommé le chien au grand collier,
Mais d’un orgueil si vain et si singulier
Les gens sensés ne font que rire.
Clairambault, F.Fr.12695, p.24bis-25bis - Maurepas, F.Fr.12627, p.13-15
Réponse à $6870