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Le Globe aérostatique

Le globe aérostatique1
L’empereur de la Chine
Attendait l’autre soir
La burlesque machine
Qu’enfin il n’a pu voir.
Eh ! mais oui-da,
Comment peut-on trouver du mal à ça ?

Par trop grande vitesse,
Dans une heure de temps,
Elle fut dans Gonesse
Étonner les savants.

Mais, chose bien plus drôle !
Blanchard, sans s’effrayer,
Du cabinet d’Éole
Veut être le courrier2 .

Il n’a pour attelage
Qu’un modeste zéphyr.
Ah ! le joli voyage !
On revient sans partir

Sur un globe bizarre,
Chacun, dorénavant,
Plus assuré qu’Icare,
Dirigera le vent.

Oh ! si l’Academie
Peut un jour s’y loger,
Nul vaisseau, je parie,
Ne sera si léger.

Les curés de village
Sauront, par le journal,
Qu’un globe qui voyage
N’est pas un animal3 .

Marlborough rentre en terre
Et nos esprits flottants
Vont au sein du tonnerre
Chercher leur passetemps.

Tout globe est fait pour plaire ;
N’en soyez pas surpris.
Ce qu’on aime à Cythère,
On l’aime dans Paris.
Eh ! mais oui-da,
Comment peut-on trouver du mal à ça ?

  • 1Les frères Montgolfier, fabricants de papier à Vidalon‑lès‑Annonay, inventeurs des aérostats à air échauffé, avaient fait, le 5 juin 1783, la démonstration de leur découverte devant le corps entier des États du Vivarais. La nouvelle de cette mémorable tentative, bientôt connue à Paris, préoccupa tous les esprits, et le physicien Charles, perfectionnant les procédés primitivement employés, renouvela leur essai à l’aide d’un ballon de taffetas recouvert d’un enduit imperméable et gonflé de gaz hydrogène. Le libraire Hardy nous a laissé dans son Journal, à la date du 27 août, le récit détaillé de cette expérience qui provoqua une curiosité universelle. « Ce jour, écrit‑il, vers cinq heures un quart du soir, on procède au Champ de Mars, en présence d’une prodigieuse multitude, avide de nouveautés, à une expérience aérostatique consistant à procurer, par le moyen de l’air inflammable, l’enlèvement d’un globe ou ballon de douze pieds de diamètre, composé de taffetas enduit de gomme élastique, le tout à l’imitation de ce qui avait été déjà entrepris et exécuté par les sieurs Montgolfier frères, à Annonay en Vivarais. Ledit globe ayant été suffisamment chargé d’air inflammable, en présence des spectateurs admis par billets dans l’intérieur du Champ de Mars, opération qui dura près de trois quarts d’heure, on est averti de son départ par deux coups de canon tirés exprès ; et on le vit aussitôt s’élever très rapidement dans la région aérienne, traverser un nuage, reparaître ensuite et disparaître enfin entièrement, de manière cependant qu’on se figure le voir incliner du côté de la Picardie. Tout le monde battait des mains pour applaudir à la nouvelle découverte ; mais comme il survint, presque à l’instant de l’enlèvement de la machine une pluie des plus abondantes, c’était un spectacle vraiment curieux et fort amusant pour les rieurs de profession que celui de voir plusieurs milliers de femmes de toutes conditions, vêtues de robes de mousseline, affublées de larges chapeaux dits Chapeaux à la Marlborough ou coiffées suivant la multiplicité et la variété aussi révoltante qu’inconcevable des divers costumes modernes, crottées, mouillées comme de vrais canards, s’empresser de courir dans l’eau et dans la boue pour chercher un abri, soit dans leurs voitures, soit ailleurs. Le public paraissait engoué de cette expérience qui faisait, pour ainsi dire, perdre aux amateurs de la physique le boire et le manger, car on n’entendait plus parler que des moyens de la renouveler encore d’une manière plus surprenante. » Hardy ajoutait, deux jours après : « On apprend que le globe, après avoir parcouru en moins de trois quarts d’heure dans la région aérienne l’espace de quatre lieues, était tombé vers six heures du soir dans un champ près de Gonesse, bourg de l’Ile‑de‑France, où il n’avait pas laissé que d’effrayer d’abord les paysans occupés des travaux de la campagne et témoins de sa chute, au moment de laquelle ils l’avaient vu rebondir à une hauteur assez considérable et demeurer ensuite à terre où le curé dudit lieu, averti par ses paroissiens inquiets, après l’avoir examiné et trouvé ce qu’on y avait inséré d’écriture pour l’instruction des personnes qui en feraient la rencontre, avait pourvu à ce qu’il fût sur‑le-champ rapporté à Paris par quelques‑uns de ses habitants auxquels il avait été donné à leur arrivée deux louis d’or de récompense. » (R)
  • 2On peut se rendre compte, par les deux extraits suivants du Journal de Hardy, de la place que prirent les aérostats dans les préoccupations du public aussitôt après les expériences de Montgolfier et de Charles : « 16 septembre. Le goût des expériences aérostatiques gagnait et fermentait dans presque toutes les têtes ; le beau sexe même n’en était pas exempt et renonçait assez volontiers à l importante occupation de la toilette pour s’y livrer. Les papiers publics n’offraient que des relations très étendues sur cet objet ; on s’en entretenait dans les cercles, et il n’était presque plus permis d’y mettre autre chose sur le tapis. Tous les physiciens étaient en mouvement et ne savaient auquel entendre, tant il se trouvait de personnes avides de s’instruire. On distribuait à qui en voulait pour son argent de ces globes tout prêts et tout arrangés, de manière qu’on pouvait s’en amuser même dans sa chambre et les voir s’élever au plancher de son appartement, comme dans une cour ou dans un jardin… On annonçait un fameux globe en forme de tente, sur lequel on verrait briller l’or et l’azur ; il devait être enlevé sur la terrasse du château de Versailles, en présence de Leurs Majestés, de la famille royale et de toute la cour et l’Académie des sciences, qui devait présider à l’opération, avait arrêté, disait-on, qu’on attacherait audit globe un mouton renfermé dans une espèce de cage ou de panier… » « 30 septembre. La fureur des expériences aérostatiques ne faisait qu’augmenter, au point qu’on les voyait se renouveler en tous lieux. On annonçait encore un nouveau globe auquel on travaillait avec beaucoup d’activité et que le sieur de Montgolfier se proposait de faire enlever à Fontainebleau en présence de Leurs Majestés et de toute la cour. Ce globe, beaucoup plus considérable en grosseur que les précédents, devait être accompagné d’une espèce de balcon ou galerie en osier de vingtsept pieds de long ; les sieurs Pilâtre de Rozier, physicien de Monsieur, frère du Roi, et Blanchard, mécanicien, étaient, disait-on, dans la ferme résolution d’occuper ce ballon pendant l’expérience et même d’y travailler à entretenir le gaz dans la machine, au moyen d’ustensiles qui seraient tout préparés à cet effet, comme aussi d’en suivre absolument la direction, en demeurant néanmoins assujettis à la terre avec des cordages qu’on ne couperait point, de manière qu’il fût possible de ménager à volonté leur retour de la course aérienne. » L’expérience projetée eut lieu à deux reprises différentes, le 17 et le 19 octobre ; mais Pilâtre de Rozier prit seul place dans la galerie. Elle fut renouvelée, le 21 novembre, par Pilâtre et le marquis d’Arlandes avec un ballon que l’on laissa échapper librement et qui effectua sa descente sur la route de Gentilly. (R)
  • 3« L’apparition du globe a tellement effrayé les paysans qui l’ont aperçu que les plus hardis se sont armés de fourches et de pierres pour l’attaquer. La fumée qu’occasionnait l’évaporation de l’air inflammable par un trou qui s’était formé, l’odeur extrêmement forte qui l’accompagnait, tout persuadait à ces paysans que c’était quelque phénomène étrange. Au surplus, deux bénédictins qui se trouvèrent sur les lieux ne balancèrent pas eux‑mêmes à supposer que ce pouvait fort bien être la peau de quelque serpent monstrueux, tué par la foudre et poussé dans les airs par la force de quelque ouragan. » (Correspondance de Métra.) (R)

Numéro
$1532


Année
1783




Références

Raunié, X,104-08