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Histoire de Beaumarchais

Histoire de Beaumarchais1
Je suis né natif de Lutèce.
Dans le sein de la bassesse,
Longtemps sans fortune et sans nom,
J’étais Pierre-Augustin Caron.
Fatigué de mon indigence,
Je me poussai par l’impudence,
Et pour étayer mes succès,
Soudain je me fis Beaumarchais.

Je me faufilai dans la clique
Des amateurs de la musique,
Grâce au tumulte des archets.
D’abord on souffrit Beaumarchais.
Puis, à Paris, où tout est mode,
Bouffon payé, bouffon commode,
La fortune que tant je cherchais
Par la main guida Beaumarchais.

Poussé par l’aveugle déesse
A la cour, près d’une princesse,
Appui des arts chez les Français,
O prodige ! on vit Beaumarchais.
Mais j’eus bientôt levé le masque,
Et pour la plus stupide frasque
A l’antichambre des valets
On fit retourner Beaumarchais.

Berné comme un fat qui se blouse,
J’intrigue et je prends une épouse,
Je l’enterre et j’hérite exprès.
Bravo ! brigando Beaumarchais.
Je retrouve encore une femme ;
A mon profit elle rend l’âme.
De deuil en deuil, à peu de frais,
En carrosse on vit Beaumarchais.

D’un Crésus, en rusé faussaire,
Je me fabrique légataire ;
Son héritier, par un procès,
Somme le hardi Beaumarchais.
On plaide, on me déclare infâme ;
La faveur me lave du blâme ;
Mais toujours, avant comme après,
Je fus, je serai Beaumarchais.

Trop connu, je restai sans dupe ;
J’apprends que Vergennes s’occupe
A protéger certain congrès ;
Alerte, alerte, Beaumarchais !
Je projette un commerce inique,
Et pour armer la république,
Je lui vends cher nos vieux mousquets.
Londre encor paya Beaumarchais.

Sans goût, sans pudeur, sans génie,
Je compose une comédie ;
Sur moi l’on crie en vain haro,
Tout réussit à Figaro.
Sous ce nom quand chacun me hue,
Cent fois pour me voir on se tue.
Et tout filou, brigand, maraud,
Désormais a mon Figaro.

Enflé d’un succès aussi rare,
En laquais j’écrivais Tarare,
Quand une lettre à deux cachets
Détrône à l’instant Beaumarchais.
Traîné par une loi bizarre
Comme un novice à Saint-Lazare,
On vit ses innocents guichets
Trembler devant un Beaumarchais.

Mais le temps, ce terrible maître,
En m’apprenant à me connaître,
A Toulon, pour tous ces hauts faits,
Va rendre marin Beaumarchais.
Du sort admirez la malice :
Ce que n’eût pu force, justice,
Un Parlement et ses arrêts,
Un cocu détruit Beaumarchais2  !

  • 1Cette pièce, qui fit beaucoup de bruit, était une parodie de certains couplets de Tarare, les meilleurs de la partition, chantés par l’eunuque Calpigi : Je suis né natif de Ferrare, etc (R) - On se détermine à placer ici la pièce suivante, à raison du bruit qu’elle cause. (Mémoires secrets, 31 août b)
  • 2L’issue de l’affaire Kornmann fut un nouveau succès pour Beaumarchais. L’arrêt du Parlement, rendu le 2 avril 1789, prononça la séparation entre les deux époux, et condamna le banquier à 2 000 livres de dommages‑intérêts envers ses adversaires et à tous les dépens Mais si Beaumarchais avait gagné son procès en justice, il l’avait perdu depuis longtemps dans l’opinion publique et son triomphe fut accueilli par des murmures. (R)

Numéro
$1594


Année
1787




Références

Raunié, X,264-67 - BHVP, MS 707, f°8v-9r - Mémoires secrets, XXXV, 468-70