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Épître de saint Augustin aux Comédiens-Italiens

Épître de saint Augustin aux Comédiens-Italiens1
Salut à la troupe italique
De ce comité catholique,
Dont le cœur loyal s’attendrit
Sur la calamité publique ;
C’est le fils de sainte Monique,
C’est Augustin qui vous écrit !
Oui, mes amis, par cette épître
J’abjure maint et maint chapitre,
Où j’ai frondé votre métier
Comme un tant soit peu diabolique.
Votre tendresse apostolique
Vient de nous réconcilier
Tout homme au cœur dur, inflexible
Devant Dieu, voilà le païen ;
Mais quiconque a l’âme sensible,
Fût-il un Turc, est un chrétien.
Jadis, en prêchant chez Valère2 ,
Je tenais à des préjugés ;
Depuis nous avons lu Voltaire,
Voltaire nous a bien changés :
Ni moi ni le curé d’Hippone,
Nous n’avons plus damné personne.
Tel arrêt n’est point fraternel,
Et sans vouloir imiter Rome
Nous laissons bonnement au ciel
Le droit de disposer de l’homme.
Oui, sans être garant de rien,
Je croirais qu’un comédien
Risque, s’il est homme de bien,
D’être sauvé tout comme un autre.
Un mime en face d’un apôtre,
C’est un scandale, dira-t-on ;
Saint Paul à côte de Rosière3 ,
Trial4 vis-à-vis de saint Pierre
Et bienheureuse Dugazon5
Aux pieds d’un diacre ou d’un vicaire,
Le paradis serait bouffon.
Tant pis pour qui s’en scandalise !
Allez au ciel par vos vertus
Et laissez clabauder l’Église.
Oui, malgré Rome et ses abus,
Vous êtes au rang des élus
Quand le pauvre vous canonise.

  • 1A l’occasion de la représentation donnée par les Comédiens-Italiens au profit des pauvres, le 20 février. — Malgré l’exiguïté de la salle, l’affluence du public permit d’obtenir ce jour‑là une recette de 8 162 livres ; les auteurs firent abandon de leurs honoraires et la garde refusa de toucher sa paye. — « Quoique l’Église soit fort aise de voir les spectacles concourir à la seconder pour secourir les pauvres par des représentations à leur profit, cependant elle ne veut pas que les curés touchent immédiatement cet argent des mains des histrions ; il faut qu’il se purifie d’abord en quelque sorte en passant par les mains de M. le lieutenant général de police. Quoi qu’il en soit, un plaisant a saisi cet événement, a mis saint Augustin en jeu et lui a fait adresser aux Comédiens-Italiens cette épître très ingénieuse » (Mémoires secrets)
  • 2Valérius, évêque d’Hippone, où prêchait saint Augustin. (M.) (R)
  • 3René Le Couppey de La Rosière, acteur et auteur dramatique. (R)
  • 4Antoine Trial, un des acteurs les plus goûtés du Théâtre‑Italien, où il avait réussi, grâce surtout à son jeu plaisant qui compensait la faiblesse de son chant. (R)
  • 5Louise‑Rosalie Lefèvre, femme de Dugazon, et actrice de la Comédie‑Italienne, jouait avec une rare distinction les rôles de soubrettes et de jeunes amoureuses. (R)

Numéro
$1537


Année
1784




Références

Raunié, X,124-26 - F.Fr.13653, p.352-54 - Mémoires secrets, XXV, 156-57