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Le Nouveau règne

Le nouveau règne1
Louis vient de descendre au tombeau de ses pères.
Au vainqueur de la France, à l’ami de  la paix
Nous donnons des larmes sincères.
Mais au milieu de tes regrets,
France, lève la tête et vois ton maître auguste
Qui s’annonce par des bienfaits2 ,
Et jure entre tes mains d’être économe et juste.
Si jeune sur le trône et commandant à tous,
Qu’il est beau de savoir commander à soi-même !
De cette gloire, hélas ! peu de rois sont jaloux ;
Il en est cent qu’on craint pour un seul que l’on aime.
C’est vous que j’en accuse, infâmes séducteurs,
Qui par une coupable adresse,
Des rois, pour les corrompre, étudiant les cœurs,
Du suprême pouvoir y nourrissez l’ivresse,
Et mettez à profit leur honte et nos malheurs.
Tu confonds d’un regard ces vils empoisonneurs,
Jeune Roi ! sans orgueil, ainsi que sans faiblesse,
Tu sais que, nés mortels, formés du même sang,
Nos maîtres sont ce que nous sommes ;
Qu’élevés dans le plus haut rang,
Leur plus beau titre c’est d’être hommes,
Que la plus belle gloire est de s’en souvenir.
Déjà plein d’un espoir que tu ne peux trahir,
De ton règne naissant chacun bénit l’aurore.
Un peuple aimable et doux, pressé d’aimer ses rois,
Audevant de tes pas vole en foule et t’adore,
L’amour de mille voix ne forme qu’une voix.
Poursuis, et sur nos cœurs exerce un doux empire.
La France a dans son sein vingt millions d’enfants ;
Quelle gloire pour toi si bientôt tu peux dire :
Je les rends tous heureux et je n’ai que vingt ans.

  • 1Le libraire Hardy constate, dans son Journal, que parmi la multitude de pièces de vers composées à la louange de Louis XVI qui se répandaient journellement, soit imprimées, soit manuscrites, celle‑ci, dont l’auteur était Saurin, de l’Académie française, fut particulièrement remarquée. Ces témoignages d’enthousiasme lui inspirent une réflexion judicieuse : « Le Parisien, écrit‑il, toujours prompt et facile à se prévenir, n’apercevait encore qu’un jeune arbre qui lui paraissait chargé de fleurs, et déjà il exaltait la douceur et l’excellence de ses fruits. » (R)
  • 2Louis XVI inaugura son règne par un trait de géné­rosité qui était en même temps une marque de piété filiale envers son aïeul défunt. Le matin même du jour où il fut proclamé roi, il écrivit à l’abbé Terray : « Monsieur le contrôleur général, je vous prie de faire distribuer deux cent mille livres aux pauvres des paroisses de Paris pour prier pour le Roi. Si vous trouvez que ce soit trop cher, vu les besoins de l’État, vous le retiendrez sur ma pension et sur celle de Madame la Dauphine. » (R) - « Quelque peu de foi que l’on ait aux oracles, observait à ce propos l’auteur de la Correspondance littéraire peut-on la refuser à celui-ci ? Tout Paris a été transporté et attendri jusqu’aux larmes. On a trouvé dans cette lettre, dont le style rappelle si bien celui de Henri IV, l’expression la plus vive et la plus sensible d’une piété vraiment filiale et d’une attention paternelle aux besoins du peuple. » (R)

Numéro
$1366


Année
1774

Auteur
Saurin



Références

Raunié, IX,1-3 - Hardy, III, 487-88