Sans titre
Écoutez tous, petits et grands,
L’aventure de Saint-Aignan1
Et vous allez apprendre comme
Il s’en est allé de Rome
Sans aller faire serviteur
A son père l’ambassadeur.
Sa belle lui dit un beau jour,
Charmant objet de mon amour,
Écoutez ce que je vais dire.
Cette nuit un coquin de sbire,
Ma mère en a fait le projet,
Viendra pour vous le couper net.
J’ai vu compter entre ses mains
Pour cela dix écus romains
Avec une bonne promesse.
S’il vient à bout de sa prouesse.
Il a montré le coutelas
Qui doit vous retrancher cela.
Effrayé de ces tristes mots,
On ne jugea point à propos
De voir la fin de l’aventure.
On cherche vite une voiture
Et devant Saint-Jean de Latran,
Le premier rendu, l’autre attend.
Tous deux venus, fouette cocher.
Allons gens plus humains chercher,
Lui dit l’abbé dans sa colère,
Retirons-nous en Angleterre.
Quoique ce soient des parpaillots
Ils valent mieux que nos dévots.
En peu d’heures on fit du chemin,
N’eût été la soif et la faim,
On en eût fait bien davantage.
On s’arrête dans un village
Pour satisfaire à son besoin,
Après quoi s’en aller plus loin.
On soupe un peu trop longuement ;
On se baise, Dieu sait comment.
Le sommeil prend, ensemble on couche.
Tous deux s’endorment comme souche
Jusqu’au matin du lendemain.
Mais voici bien un autre train.
De la part de l’ambassadeur
Vingt hommes leur firent grand peur.
Il fallut retourner au gîte
D’où l’on était parti si vite.
Jugez quel fut le crève-cœur
De l’amante et du serviteur.
La fille, tout en arrivant
fut reléguée en un couvent
Et l’abbé vit Monsieur son père
Dans une effrayante colère.
Il dit, tant il était fâché :
Beau début pour un évêché !
L’abbé répond modestement :
Mon oncle en a bien fait autant,
Et pis encore, je l’ose dire.
Quoiqu’évêque, il n’en fit que rire,
Et il n’avait pas le sujet
Qui fut cause de mon projet.
Le propre jour de mon départ,
Celle que j’aimais me fit part
D’un complot bien abominable,
Et ceci n’est pont une fable,
On avait, dit-on, résolu
De me le couper rasibus.
Vous savez qu’ainsi retranché
On n’est plus propre à l’évêché.
N’en ayez aucune rancune,
La peur de perdre ma fortune
M’a fait exiler de ce lieu
Sans seulement vous dire adieu.
Le père pour argent comptant
Prit tout ce beau raisonnement.
Que n’est-il pas permis de faire
Pour parer si cruelle affaire ?
A dit le père à son enfant,
J’en aurais bien pu faire autant.
- 1 L’abbé de Saint-Aignan, fils de l’ambassadeur, s’étant esquivé de Rome avec sa belle, il la voitura jusqu’à Florence, d’où ils devaient passer en Angleterre. M. l’ambassadeur, averti à temps de cette escapade et du chemin qu’ils avaient pris, les fit arrêter et revenir à Rome, ce qui rappelle l’aventure de M. de Beauvais, son oncle.
Stromates, I, 262 - Mazarine Casries 3987, p.176-80