Énigme
Énigme1
En physique, je suis du genre féminin ;
Dans le moral, je suis du masculin.
Mon existence hermaphrodite
Exerce maint esprit malin ;
Mais la satire et son venin
Ne sauraient ternir mon mérite.
Je possède tous les talents,
Sans excepter celui de plaire.
Voyez les fastes de Cythère
Et la liste de mes amants ;
Et je pardonne aux mécontents
Qui seraient d’un avis contraire.
Je sais assez passablement
L’orthographe, l’arithmétique ;
Je déchiffre un peu la musique,
Et la harpe est mon instrument2
.
A tous les jeux je suis savante,
Au tric-trac, au trente et quarante,
Aux échecs, comme au biribi,
Au vingt et un, au reversi ;
Et, par les leçons que je donne
Aux enfants sur le quinola,
J’espère bien qu’un jour viendra
Qu’ils sauront le mettre à la bonne.
C’est le plaisir et le devoir
Qui font l’emploi de ma journée ;
Le matin, ma tête est sensée,
Elle devient faible le soir ;
Je suis monsieur dans le Lycée
Et madame dans le boudoir3
.
- 1Le mot est la comtesse de Genlis (F.Fr.13653) - « Voici l’un des derniers brocards qu’ait dû prendre en patience Mme la comtesse de Genlis, le gouverneur femelle des jeunes princes de la maison d’Orléans. L’allusion du mot La Harpe se saisit facilement ; quant au mauvais jeu de mots ou calembour sur le quinola, qui connaît le jeu de reversi, sait ce que c’est que de mettre le quinola à la bonne. » (Correspondance de Métra.)(R)
- 2On rappelle ici, en jouant sur les mots, l’accusation portée contre Mme de Genlis d’avoir M. de La Harpe pour teinturier. (M)(R)
- 3Le chevalier de Bonnard, militaire et homme de lettres distingué, était gouverneur des deux fils du duc de Chartres, qui lui a causé tant de désagréments, que le chevalier a été forcé de donner sa démission. Le duc a nommé à la place la comtesse de Genlis, qui était déjà gouvernante des princesses. On retire ordinairement les enfants des mains des femmes à l’âge de cinq ou six ans ; ce père remet les siens entre leurs mains à huit ou dix. Il n’était pas trop bien avec le public ; cet événement a renouvelé les brocards… Tout s’en mêle et la cour et la ville. Quelque plaisant a prétendu que Mme de Genlis étant gouverneur des enfants de la maison d’Orléans, on allait voir nommer M. le duc de Luynes nourrice de Mgr le Dauphin. Ce duc est à peu près gros comme un tonneau. » (Correspondance de Métra, 23 janvier)(R)
Raunié, X,43-44 - F.Fr.13653, p.237 - Mémoires secrets, XX, 77-78 - CSPL, t.XII, p.332-33