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La Résurrection des États généraux

La résurrection des États généraux
O fils et filles, tour à tour
Réjouissez-vous dans ce jour !
A vos cris le ciel n'est plus sourd.
Alleluia.

Par le coup du plus grand bonheur,
Perdant sa place et sa faveur,
Calonne fuit comme un voleur.

Et Brienne inepte à régir,
Lui qui s'empourpra pour rougir,
Loin de nous est allé mugir.

Et ce turbulent magistrat,
Qui, croyant perdre le Sénat,
Perdit son nom et son état1 .

Ici, la justice aux abois
Voyait ses sénateurs sans voix
D'un soldat recevoir des lois.

Les provinces en rumeur,
Rappelant leurs droits, leur vigueur,
Faisaient éclater leur douleur.

L'État, dont ce triple fléau
Consuma les os et la peau,
Sort aujourd'hui de son tombeau.

Parmi le trouble et la fureur,
Effet d'un ministre oppresseur,
Necker parut comme un sauveur.

Lorsque la nouvelle éclata,
Chacun la crut, la débita,
Hors le tiers état qui douta.

C'est moi, dit-il : n'ayez point peur ;
Touchez mes mains, touchez mon cœur,
Je renais pour votre bonheur.

Le tiers état doutait encor ;
Mais en palpant sans nul effort,
Il s'écria : Quel heureux sort !

Heureux ceux qui, sans avoir vu,
Auront enfin constamment cru !
Le ciel bénira leur vertu.

A son aspect tout refleurit,
L'État retrouve son crédit,
L'espoir renaît, la crainte fuit.

O détestables envieux,
Malgré vos cris injurieux,
Necker saura vous rendre heureux !

Par ses soins chaque élection
Va restaurer la nation
Qu'on tenait sous l'oppression2 .

O jour de gloire et de faveur,
Jour où l'on dira, par honneur,
A tout curé : Votre Grandeur !

Assez et trop longtemps, hélas !
Nous fêtâmes, jolis prélats,
Des vertus que vous n'avez pas.

O France, tu ne verras plus
Ces grands vicaires superflus,
Pour leur devoir toujours perclus.

Paris, purgé des prestolets,
N'aura plus ces petits collets,
De nos catins les bas valets3 .

Chantez, chantez, pauvres plaideurs :
L'État, frappé de vos malheurs,
Va dissoudre les procureurs.

Le Sénat n'écoutera plus
Tous ces plaidoyers superflus,
Mais bien les clients morfondus.

Et vous, militairce contrits,
Reprenez gaîment vos esprits :
Vos Cruciateurs sont proscrits.

Guibert de Bourges vous dira
Que dans ce lieu l'on dénonça,
Ce qu'affreusement il osa4 .

Mais son deuil aura peu coûté,
Quoiqu'il soit rudement frappé ;
Car chacun, dit-on, l'a drapé.

Vive ce moment fortuné,
Où, tout ainsi qu'un nouveau-né,
Le royaume est régénéré !

Nouvelle terre, nouveaux cieux,
Maints financiers, humbles piteux,
Se retrouveront sans aïeux.

Le noble, entiché de son nom,
Et sans humeur et sans façon,
Perdra son orgueil et son ton.

Ce primat gaulois dont l'esprit,
Dans un mandement5 se perdit,
Ira se cacher dans la nuit.

Enfin l'homme patricien,
Fût-il académicien,
Rendra salut au plébéien.

Sur Monsieur ou sur Monseigneur,
Permis à tout bon laboureur,
D'équivoquer tout en douceur.

Necker, bien plus intelligent
Qu'aucun adepte, aucun agent,
Saura fixer le vif-argent.

Le baromètre de la cour,
Au beau décidé sans retour,
Ne variera plus chaque jour.

A l'époque où l'on renaîtra,
Quand la France s'assemblera,
Demandez ce qu'il vous plaira.

Si l'on juge comme au Palais,
L'épouse du premier benêt
Pourra trafiquer ses attraits.

Et celui qui le défendra,
Malgré les raisons qu'il aura,
Dûment on le condamnera.

O le beau jour, ô le bon temps !
S'écrieront alors les amants
Sous l'œil des maris mécontents.

Demandons plutôt aux États
Qu'ils s'appliquent enfin, hélas !
A réformer les magistrats.

Qu'ils accordent l'humilité,
Aux auteurs dont la vanité
Révolte la société.

Qu'ils donnent un air de vertu
A nos femmes d'un nom connu,
Dont l'honneur est à fonds perdu.

Que pour punir Royou6 du bien
Qu'il dit de maint auteur vaurien,
Il soit académicien.

Mais déjà les cœurs vont s'ouvrir,
Et dans le moment de s'unir
Goûter le souverain plaisir.

Viens, précieuse liberté,
Sous les lois de l'égalité,
Rendre l'homme à l'humanité.

A ta voix, les fers vont tomber,
Tous les despotes succomber,
Et l'univers te bénira.

Dans les trois ordres confondus,
Ayant pour guide les vertus,
Français, réformons les abus.

Mais ne crains rien, sexe charmant,
Toujours, même en te réformant,
On te chérira constamment.

Si l'on raccourcit tes bonnets,
Si l'on change tes airs coquets,
C'est pour te donner plus d'attraits.

Mais combien de livres nouveaux,
Du bien public charmants tableaux,
Naîtront aux États généraux7  !

Le siècle d'or ressuscité
A Louis sera présenté
Comme ouvrage de sa bonté.

A son ministre on dédiera
Un livre où tout Français lira
Qu'il fit chanter l’Alleluia.
Alleluia.

  • 1Le Parlement, dans sa séance de rentrée, avait demandé la mise en accusation de Lamoignon et de Brienne. (R)
  • 2 Comme les notables convoqués par Necker s’étaient refusés à toute innovation dans le mode de convocation des États généraux, le gouvernement dut régler les divers points sur lesquels il les avait consultés. Le grand conseil, sur le rapport de Necker, trancha la plus grave difficulté en décidant qu’une double représentation serait accordée au tiers état. (R)
  • 3Rien n’était plus injuste que de juger, comme on le faisait trop souvent, l’ensemble du clergé d’après certaines individualités peu recommandables. « Les évêques étaient en général, très instruits ; plusieurs ont été à différentes époques distingués par des talents éminents, et ils n’a­vaient point cet esprit de corps qui assujettit servilement aux anciens usages et repousse les lumières. Le clergé de France était peut‑être celui de l’Europe qui avait les mœurs les plus décentes ; un assez grand nombre, parmi les prélats, faisait d’abondantes aumônes et se distinguait par sa piété et par la pureté de ses mœurs. Mais on ne doit pas se dissimuler que l’ambition, les plaisirs de la société et l’ennui de la représentation attiraient un grand nombre d’évêques dans la capitale, et c’était un tort du gouvernement de tolérer leur absence de leurs diocèses. Elle avait, dans le rapport religieux, l’inconvénient de priver la province de l’exemple qu’ils étaient faits pour donner, et d’une surveillance attentive sur le clergé infé­rieur. » (Sénac de Meilhan, Du clergé.) (R)
  • 4« A Bourges, le comte de Guibert a éprouvé une cruelle mortification. Un officier le voyant entrer dans l’assemblée lui dit qu’un homme qui avait cherché à avilir le soldat français ne devait point figurer parmi la noblesse française. On le pria de sortir, il s’obstina. On lui reprocha d’avoir décidé dans le conseil de la guerre qu’on pouvait punir le soldat par le plat d’épée et par le bâton ; enfin, après plusieurs avanies mêlées de menaces, il fut obligé de se retirer. » (Correspondance secrète sur la cour et la ville.) (R)
  • 5Sans doute l’archevêque de Paris que le mandement publié en 1787, relativement au Pastoral du diocèse, avait déconsidéré. (R)
  • 6Thomas‑Maurice Royou, prêtre et professeur au collège Louis‑le‑Grand, devenu publiciste, avait fondé en 1783 le Journal de Monsieur, et s’était rangé parmi les adversaires des idées nouvelles. (R)
  • 7« Chaque jour, chaque heure voit éclore quelque nouvelle brochure, quelque nouveau volume sur les États généraux ; et si l’on rassemble tous ces écrits à la Bibliothèque du Roi, l’on y comptera très incessamment plus de volumes encore sur la constitution de la monarchie qu’il y en a déjà sur la constitution Urigenitus car, sur cette grande et belle question, il n’y en a, dit‑on, guère au-delà de dix mille. » (CLG) (R)

Numéro
$1612


Année
1789




Références

Raunié, X,324-32