Eloge de Tolvaire
Eloge de Tolvaire1
Petits auteurs, qu’on vit jadis
Se mettre au rang des beaux esprits,
Qui tant de faquins fîtes taire,
Parleriez-vous devant Tolvaire ?
Boileau, Corneille, Sarrazin,
Virgile, Horace, Rabutin,
Racine, Tite-Live, Homère,
Qu’êtes-vous auprès de Tolvaire ?
C’est un grand homme décidé ;
Du goût défenseur affidé ;
Le seul Vrai peut le satisfaire ;
Rien n’est parfait hors de Tolvaire.
Au vieux âge les bonnes gens
Sottement bornaient leurs talents,
Trop prévenus de leur misère.
L’homme universel, c’est Tolvaire.
Poème épique, ode, sonnet,
Conte, élégie, triolet,
Tant de fois vendus à l’enchère,
Sont les coups d’essai de Tolvaire.
A Londres, au bout de trois mois,
Il écrivit un livre anglois.
Et le livre, mis en lumière,
Y fit crier : Vive Tolvaire.
Arrivé qu’il est à Berlin,
Il fait un compliment germain,
Limé, tourné d’une manière
Qu’on dit : il est Germain, Tolvaire.
De son latin doutera-t-on ?
Il l’apprendrait à Cicéron ;
S’il recommençait sa carrière,
Il prendrait pour maître Tolvaire.
Ce controversiste subtil
Du quaker confond le babil.
L’anglican, qui se désespère,
Dit : Grâce, je me rends, Tolvaire.
Il prépare un recueil complet
De Lettres contre Mahomet.
Pour mieux digérer la matière,
Chez le Turc on attend Tolvaire.
Humaniste, critique expert,
Logicien pressant, disert,
Qu’il parle. On admire, on révère
L’oracle rendu par Tolvaire.
Il n’entreprend rien au hasard,
Il connaît le secret d’un art.
Le vrai, le faux, l’imaginaire,
Tout est pénétré par Tolvaire.
La physique il la sait à fond.
Plus géomètre que Newton,
Il le guide, l’instruit, l’éclairé.
Ha ! rien n’est égal à Tolvaire.
Il faisait brûler sans appel
Le schismatique Machiavel,
Sans un tour bibliopolaire,
Tour rusé, qui surprit Tolvaire.
Ce tour, vrai tour d’iniquité,
Ne sera jamais imité.
J’en donnerais le commentaire,
Si je rimais comme Tolvaire.
Essayons pourtant, bien ou mal,
De rimer le détour fatal
Qui sut désarmer la colère
De l’inexorable Tolvaire.
Un libraire, vrai patelin,
L’amadouant d’un air serein,
L’embrasse, et d’un ton débonnaire
Lui dit : Arrêtez, cher Tolvaire.
Entre nous corrigez sans bruit
De votre arrêt le manuscrit.
Je saurai cacher le mystère
De l’Errata fait par Tolvaire.
A ces mots, Tolvaire, adouci,
Parle à Machiavel en ami,
Lui tient un langage de frère ;
Ainsi se rétracta Tolvaire.
Dans ses lettres qu’il est bénin !
Ardent, zélé pour son prochain !
Nul intérêt ne peut distraire
Le zèle empressé de Tolvaire.
Ferme dans son engagement,
Sa parole vaut un serment,
Et j’en atteste maint libraire.
Ah ! l’honnête homme que Tolvaire !
De candeur, de sincérité,
C’est un trésor. La probité
Partout est son unique affaire.
Ah ! c’est un grand saint que Tolvaire.
Quelquefois un piège tendu
Donne licence à sa vertu.
Cette licence est ordinaire
Aux saints rimeurs tel que Tolvaire.
C’est alors qu’il vend tout à prix,
A droite, à gauche, ses écrits ;
Multiplie un même exemplaire,
Où toujours on connaît Tolvaire.
Du profit on voit les appas ;
Mais quant à Dieu, qu’il ne voit pas,
Il tient que c’est une chimère.
Je crois au réel, dit Tolvaire.
Certain babillard fanfaron
Egalait les tours de Villon,
Ce grand joueur de gibecière,
Aux subtilités de Tolvaire.
Villon, dis-je, Villon, de pair !
Je l’avoue, il rimait en l’air ;
Mais en esprit sur notre sphère,
Nul n’est comparable à Tolvaire.
Qu’un roi le comble de présents,
Tolvaire le comble d’encens ;
Encens léger, vrai honoraire.
Ah ! le fin matois que Tolvaire.
Mais en est-il toujours épris,
Ce monarque ? et de sens rassis
Lui voit-il censurer son père ?
Pourquoi non, puisque c’est Tolvaire ?
Rimeur à chanter le héros,
Invitez nymphes, pastouraux.
Auprès d’eux jamais chant n’opère,
Qui n’est pas un chant de Tolvaire.
C’est ainsi qu’en vers peu coulants,
Parlant moins aux yeux qu’au bon sens,
J’assemblais des rimes en -ère
Pour louer le divin Tolvaire.
- 1Parfois remplacé par V.***, par exemple dans le Voltariana.
Diable hermite, p., I, Livre III, Ch.VIII, p.375-380 - Voltariana, p.145-51
Edition et commentaire dans Van Streen, p.429-437. Voir aussi $6215