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Encyclopédistes et économistes

Encyclopédistes et économistes1
Vivent tous nos beaux esprits
Encyclopédistes,
Du bonheur français épris,
Grands économistes ;
Par leurs soins au temps d’Adam
Nous reviendrons, c’est leur plan.
Momus les assiste,
O gué,
Momus les assiste2 .

On verra tous les états
Entre eux se confondre,
Les pauvres sur leurs grabats
Ne plus se morfondre.
Des biens on fera des lots
Qui rendront les gens égaux :
Le bel œuf à pondre !

Puis, devenus vertueux
Par philosophie,
Les Français auront des dieux
A leur fantaisie.
Oui, nous verrons un oignon
A Jésus damer le pion ;
Ah ! quelle harmonie !

Ce n’est pas de nos bouquins
Que vient leur science :
Eux seuls, ces fiers paladins,
Ont la sapience.
Les Colbert et les Sully
Nous paraissent grands, mais
Ce n’est qu’ignorance.

Du même pas marcheront
Noblesse et roture :
Les Français retourneront
Au droit de nature.
Adieu, Parlements et lois,
Les princes, les ducs, les rois,
La bonne aventure.

Alors d’amour sûreté
Entre sœurs et frères,
Sacrements et parenté
Seront des chimères.
Chaque père imitera
Noé quand il s’enivra ;
Liberté plénière.

Plus de moines langoureux,
De plaintives nonnes ;
Au lieu d’adresser aux cieux
Matines et nones,
On verra ces malheureux
Danser, abjurant leurs vœux,
Galante chaconne.

Puisse des novations
La fière séquelle
Nous rendre des nations
Le parfait modèle !
Et cet honneur nous devrons
A Turgot et compagnons,
Faveur immortelle.

A qui devrons-nous le plus3 .  ?
C’est à notre maître,
Qui, se croyant un abus,
Ne voudra plus l’être.
Ah qu’il faut aimer le bien
Pour de roi n’être plus rien !
J’enverrais tout paître,
O gué,
J’enverrais tout paître.

  • 1Dans les papiers du temps, dans l’Observateur anglais, en 1778, plus de dix ans avant la Révolution, on lisait la chanson suivante de M. de Lille, officier au régiment de Champagne, admis dans la société du duc de Choiseul, du duc de Cogny qui le logeait et de la princesse de Guéménée. Il avait une grande facilité pour les impromptus et les couplets et on peut en juger par les suivants qui sont une vraie prophétie de ce qui est arrivé en 1789 et années suivantes  (Mémoires de l'abbé Georgel - « Les économistes étaient des sectaires ardents qui par l’exagération de leurs projets, avaient su captiver l’esprit enthousiaste du ministre trop confiant. Bientôt les presses furent surchargées de plans d’amélioration qui, sapant les principes les plus respectés en religion, en morale et en politique, tendaient à bouleverser l’État sous prétexte d’y ramener l’âge d’or. Aux innovations qui en furent la suite, et dont on prévoyait les funestes conséquences, les Français opposèrent cette arme du ridicule qu’ils savent si bien manier, et, dans la multitude de chansons faites à cette époque, on doit remarquer surtout celle du chevalier de Lisle, capitaine de dragons, qui, connue plus de seize ans avant les malheurs de la France, imprimée alors dans quelques recueils, a non seulement le mérite de la satire la plus amère contre les plans de M. Turgot, mais encore celui d’être la prédiction la plus authentique comme la plus détaillée de tout ce que nous avons éprouvé depuis le commencement de la Révolution. » (Paris, Versailles et les provinces au XVIIIe siècle.) (R)
  • 2On voyait entre les mains de quelques personnes des copies manuscrites d'un nouvelle chanson sous le titre de Prophétie turgotine, dans laquelle le poète frondait avec bien de la malignité les opérations du contrôleur gnéral et se permettait en outre dans le dernier couplet d'attaquer avec indécence la personne même de son souverain dont on ne pouvait trop admirer le bonnes intentions et les vues bienfaisantes, ce qui révoltait toutes les personnes tant soit peu raisonnables… On avait aussi imaginé des tabatières extrêmement plates qu'on achetait avec empressement pour se mettre à la mode, qui ne coûtaient que vingt-quatre sous et auxquelles on avait donné ce nom de turgotines et celui de platitudes. Suit la chanson (Hardy, IV, 559)
  • 3Hardy, après avoir transcrit cette pièce dans son Journal, écrivait en note : « La disgrâce du sieur Turgot, éloigné de la cour, le 12 du même mois [de mai], arrêtait l’accomplissement de cette prophétie, en supposant toute fois qu’il eût les sentiments et les intentions que le poète lui prêtait. » (R)

Numéro
$1416


Année
1776

Auteur
de Lisle, capitaine de dragons



Références

Raunié, IX,86-89 - Mémoires de l'abbé Georgel, t.II, p.267 - CLS, 1776, p.136 - CSPL, III, -43-46 - Hardy, IV, 560