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L'Amiral des Bretons

L’amiral des Bretons1
A boire, camarade, à boire,
Il faut célébrer la mémoire
De Howe, et chanter à sa gloire.
Vive l’amiral des Bretons,
Et sa manœuvre à reculons !

Pour signaler sa grande audace,
Quand il a notre flotte en face,
La mer n’a point assez de place.
Vive l’amiral des Bretons,
Et sa manœuvre à reculons !

Un autre aurait pris la migraine,
Lui, pour bien s’étendre et sans peine,
Vite, dans un détroit s’engaine.
Vive l’amiral des Bretons,
Et sa manœuvre à reculons !

Laissons dire à quelque esprit fade :
Au diable la fanfaronnade,
Et le héros qui rétrograde !
Vive l’amiral des Bretons,
Et sa manœuvre à reculons !

L’Espagnol est à sa poursuite,
Trois jours entiers, prend-il la fuite ?
Non, mes amis ; loin qu’il l’évite,
Vive l’amiral des Bretons,
Qui fait attendre à reculons !

Qu’enfin pourtant on vous l’attrape,
Qu’on le force à mordre à la grappe ;
Croit-on que le danger le frappe ?
Vive l’amiral des Bretons,
Qui saura vaincre à reculons !

Mais, ô malheur, trop de distance,
Quand nous leur tirons dans la panse,
Des siens a trompé la vaillance,
Viv  l’amiral des Bretons,
Qui crie : Avance à reculons ?

Plus fier qu’un coq de la victoire,
Il écrit à qui veut l’en croire
Que ce jour il n’eut pas la foire.
Vive l’amiral des Bretons
Et ses hauts faits à reculons2 .

  • 1L’amiral anglais Richard Howe avait été chargé de ravitailler Gibraltar, au moment même où les assiégeants se préparaient à tenter un coup de main décisif, et le succès de sa mission contribua au salut de la place. Howe rentra fièrement en Angleterre après avoir soutenu une attaque de Lamotte‑Piquet. « Tout est dit à Gibraltar écrivait à ce propos le rédacteur de la Correspondance secrète sur la cour et la ville. » Le lord Howe, après avoir pleinement approvisionné cette place, a tranquillement repris la route de l’Angleterre sans opposition, emmenant avec lui, pour échantillon de la flotte combinée qu’il n’a point vue, le vaisseau espagnol le Saint‑Michel. Il semblait avoir prévu que les choses se passeraient ainsi. Il avait fait entrer les vents, les tempêtes et la lourde marche des Espagnols dans ses combinaisons et l’événement a parfaitement justifié le plan mis par cet amiral, avant son départ, sous les yeux du roi d’Angleterre. Le cabinet de Saint‑James même traitait alors son assurance de témérité. »(R)
  • 2Tandis que l’on raillait follement l’amiral anglais, même après son succès, l’écrivain que nous venons de citer se montrait plus justement circonspect et inquiet

Numéro
$1522


Année
1782




Références

Raunié, X,73-75