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Les Lanternes de Paris

Les lanternes de Paris1
Or écoutez, petits et grands,
L’histoire d’un événement
Qui va pour jamais être utile
A Paris, notre bonne ville ;
Nous, nos neveux en jouirons ;
Les étrangers admireront.

Jadis vingt verres joints au plomb
Environnaient un lumignon
Qui, languissant dans sa lanterne,
Rendait une lumière terne.
Cela satisfit nos aïeux,
C'est qu’ils ne connaissaient pas mieux.

Parut un monsieur Rabiqueau,
Lequel, en creusant son cerveau,
Parvint par l’art du réverbère
A renvoyer une lumière
Avec laquelle à deux cents pas
On lisait dans les Colombats2 .

De police un ministre actif,
A tout bon avis inventif,
D’après cela forme en sa tête
Son projet, et fait force enquête,
Force essais pour trouver le bon,
De la moins coûteuse façon.

Enfin il le trouve à souhait.
Mais après tout son calcul fait
De l’argent et de la dépense,
qu’exigeait sa prudence,
Il voit qu’il lui faudra douze ans.
Pour des Français c’est bien longtemps.

Sûr que cet établissement
Aux Parisiens paraît charmant,
Qu’on sent combien il est utile,
Il propose un moyen facile
D’en hâter l’exécution
Par libre contribution.

Afin de promptement jouir,
Aussitôt chacun d’accourir :
Ici ce sont les locataires,
Là ce sont les propriétaires
Qui, pour voir la nuit en marchant,
Apportent de l’argent comptant.

Tout ainsi que les opulents,
S’empressent marchands, artisans ;
Chacun se dispute la gloire
De ne plus avoir de rue noire ;
Ce concours va rendre Paris
Clair la nuit tout comme à midi.

Il en est qui disent : Tant pis !
Aussi sont-ils de Dieu maudits.
Les unes pour certaine affaire3 ,
Les autres enclins à méfaire4 ,
Gagnant tout par l’obscurité,
Perdront tout par cette clarté.

Mais, en dépit d’eux, on louera
En prose, en vers, on chantera
L’illustre monsieur de Sartine5 ,
Par qui la ville s’illumine,
Et le bonheur d’avoir un Roi
Qui d’hommes sait faire un tel choix.

  • 1« M. de Sartine, conseiller d’État et lieutenant général de police, s’est occupé depuis nombre d’années du projet de mieux éclairer la ville de Paris pendant la nuit. Le problème n’est pas aisé à résoudre quand on ne peut pas y mettre l’argent nécessaire. Après bien des essais, ce digne magistrat s’est fixé à une espèce de lanternes à réverbère qui éclaireraient en effet fort bien, si elles étaient un peu plus rapprochées. Mais la pauvreté de la caisse publique exige qu’elles soient placées à une grande distance les unes des autres… Plusieurs habitants des principales rues se sont cotisés librement pour faire le premier achat de ces lanternes nouvelles, et pour en jouir dès à présent. » (CLG)
  • 2Almanachs très répandus au XVIIIe siècle, et imprimés en petits caractères. (R)
  • 3Les raccrocheuses. (M.) (R)
  • 4Les voleurs. (M.) (R)
  • 5« Je souscris de tout mon cœur à l’éloge de M. de Sartine, homme d’un rare mérite, qui exerce un ministère de rigueur et d’inquisition avec autant de douceur que de fermeté et de vigilance. Mais je ne souscris pas également à l’éloge que l’on fait des nouvelles lanternes. Ces lampes sépulcrales à réverbères, suspendues au milieu des rues éblouissent encore plus qu’elles n’éclairent. On ne peut y porter les yeux sans être aveuglé par ces plaques de fer-blanc qui renvoient la lumière. Ces lampes ont encore l’inconvénient d’être ballottées par le vent dans les temps d’orage, et par conséquent de s’éteindre quand elles seraient le plus nécessaires. » (CLG)

Numéro
$1269


Année
1768




Références

Raunié, VIII,125-28